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Le blog de Susanna Huygens

XIVe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel… "Rosa" Métamorphosis

15 Août 2019 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

« Ar resplan la flors enversa » - Raimbaut d’Orange (vers 1140-1173)

Pas plus que l’année dernière, vous ne trouverez ici un compte rendu « critique » de ce festival unique, qu’est le festival Musique et Histoire qui s’est déroulé à Fontfroide en juillet dernier. Unique il l’est tant par la personnalité de celui qui l’a créé, Jordi Savall, que par son caractère puisqu’il associe à la musique ancienne, des répertoires ouvrant au dialogue interculturel aussi bien entre musiciens qu’entre ces derniers et le public. A taille humaine, il ne dispose pas des lourds dispositifs et moyens dont bénéficient certains de ses voisins. Il conserve cet esprit à l’origine de la Re-Naissance de la musique ancienne en France et en Europe. Ici, musiciens et public retrouvent une « famille ».

Tout comme Puck, je solliciterais donc votre indulgence pour ces chroniques qui je l’espère me permettront de partager avec vous, cher ami lecteur, tous ces instants de poésie, de beauté, de générosité, qui pendant cinq belles journées et soirées, ont apaisé et enrichi nos âmes, au cœur de la garrigue, dans une abbaye cistercienne qui est parvenue jusqu’à nous, quasi intacte, grâce à une famille d’Andoque de Sériège / Fayet qui depuis plus d’un siècle s’est investie dans sa conservation.

@ Monique Parmentier

J’aimerai vous faire percevoir cette joie qui s’empare de moi, dès l’instant où la majorité des musiciens et des équipes techniques, arrivent au Zénitude Hôtel à Narbonne, transportant des instruments dont je sais déjà qu’ils vont enchanter des moments rares et précieux.

Il faut aussi, avoir connu une fois dans sa vie, l’allégresse qui s’empare de vous lorsque l’on descend de voiture en arrivant à l’abbaye de Fontfroide, pour subitement bénéficier de ce concert du bonheur qu’offre les cigales. Et alors que durant un long hiver, l’instant d’éternité que nous avait offert le 13ième Festival Musique et Histoire de Fontfroide l’année dernière, semblait à jamais s’éloigner, devant le portail de l’abbaye cistercienne l’allégresse s’empare de nous, comme si l’on n’avait jamais quitté cet endroit quasi paradisiaque. Il a cette faculté qu’ont de rares endroits dans le monde de nous envelopper dans un univers de sérénité, d’apaisement, nous permettant de retrouver en toute liberté et plaisir, les passeurs d’enchantements que sont les musiciens.

@ Monique Parmentier

Le XIVe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel, qui s’est tenu du 15 au 19 juillet nous a invité sur le thème des Métamorphoses, à un voyage initiatique le long des chemins d’une quête intérieure, à l’écoute de nos « voix lointaines » pour mieux s’ouvrir à l’autre, à la différence, de la singularité à l’altérité, au partage des plus belles valeurs humaines.

Le programme n’évoquant pas les raisons du choix du thème par Jordi Savall et Edgar Morin n’ayant pu assurer les conférences qui étaient prévues pour nous en dévoiler les différentes interprétations possibles, il a appartenu à chacun d’entre nous de vivre ce moment, où la chrysalide devient papillon, où le bouton de fleur devient rose, où la nymphe devient arbre, où les mélanges subtils, âcres ou suaves, deviennent parfums, où le chant de la nature devient musique.

Au pays des troubadours, c’est la rose des Elysiques -et ses mille et une nuances poétiques- qui a été mon guide et mon amie et qui a métamorphosé le réel jusqu’à l’effacer, emportant la musique dans ses volutes parfumées et son chant « de lumière aux ailes frémissantes »1.

Les 5 concerts de l’après-midi, - dont deux furent donnés dans le réfectoire, celui des duos formés par Guillermo Pérez et Pierre Hamon et le Duo Tartini et les trois autres dans les Jardins en Terrasse -, furent donc consacrés à cinq splendides duos qui nous ont donné une luxuriante palette de couleurs, de nuances, de lyrisme, d’évasion sur des chemins lointains et oniriques.

@ Monique Parmentier

Le premier d’entre eux, dont nous ne disposons pas du programme, a été celui réunissant deux fascinants musiciens, Moslem Rahal (Ney) et Mostafa Taleb (kamânche), tous deux membres de la troupe d’Orpheus XXI que nous avons retrouvés le soir même pour le concert inaugural du soir sur lequel je reviendrais dans un second article. Mais si nous ignorons tous des pièces données, jusqu’à leurs titres, les instruments nous disent leur répertoire, celui des bardes d’Orient, de la poésie soufie, de l’éveilleur d’âmes Djalâl ad-Dîn Rûmî, de la danse parfaite, celle des Derviches Tourneurs, celle de la vibration créatrice initiale.

Le ney est une flûte à embouchure de roseau dont les premières formes, plusieurs fois millénaires, remonteraient à l’empire de Sumer et à l’Egypte antique, tandis que le kamânche (ou vièle à pique) d’origine iranienne est un instrument à cordes frottées qui remonte à des temps forts anciens. L’un et l’autre peuvent tout aussi bien être utilisés en solo qu’en ensemble. Mais le kamânche est avant tout l’instrument des conteurs. Tous deux instruments de la musique dite « savante », le ney emporte dans son souffle la danse mystique des derviches et nos âmes vers l’ivresse de l’instant.

Si nous connaissons déjà le talent de Moslem Rahal celui de Mostafa Taleb a été une belle découverte. Ensemble ou en solo, les deux interprètes, sous les feuillages miroitant des jardins en terrasse, nous ont dessiné des instants raffinés et subtiles, où leur virtuosité a permis à leurs instruments de chanter toutes les nuances de l’âme. Pouvait-on rêver musiciens plus inspirés pour ouvrir le festival et nous permettre de larguer les amarres qui nous reliaient au monde contemporain.

@ Monique Parmentier

Le second duo des après-midis, intitulé Zarambeques, réunissait deux musiciens dont les instruments sont de la même famille : Andrew Lawrence King à la harpe baroque et Ballaké Sissoko à la kora qui est la harpe mandingue.

Le musicien malien est un habitué des métissages entre l’Afrique et l’Occident, non seulement dans ses collaborations avec Jordi Savall ou dans le cadre de 3MA, mais également avec d’autres instruments à cordes occidentaux, dont le violoncelle. La harpe baroque d’Andrew Lawrence King a très souvent participé aux grandes fresques des rencontres proposées par Jordi Savall et à des projets de rencontres « improbables » entre univers musicaux très dissemblables.

Dans un répertoire entre baroque espagnol et traditions africaines, ils nous ont tous deux offert un métissage surprenant, où les alliages instrumentaux permettent des nuances de jeu espiègles et élégantes, fluides et lancinantes, oniriques et fantasmagoriques. Sous le titre Zarambeques, aux consonances étranges et exotiques se cachent en fait les titres d’un livre pour harpe espagnol Lus y norte qu’Andrew Lawrence King a déjà enregistré et partagé avec d’autres musiciens. Il offre de nombreux exemples de chaconnes et l’on sait que cette dernière a probablement suivi les routes de l’esclavage. En réunissant la harpe africaine, la kora à la harpe baroque, toutes deux instruments de haut lignage, nos deux virtuoses se sont abandonnés au plaisir de partager une rencontre interculturelle, à l’image d’un festival ouvrant des voies paraissant incertaines qui se révèlent à chaque fois riches et passionnantes.

Le vent et les cigales sont venus parfois solliciter non seulement l’énergie des musiciens mais aussi s’amuser avec eux. Mais ces derniers sont parvenus à faire d’une nature si facétieuse, une alliée à l’humour d’un bis, une chaconne fantaisiste accompagnée d’un texte, dit par nos deux musiciens, pas très féministe et dans l’esprit très XVIIe d’une société où la ménagère était souvent une mégère.

@ Monique Parmentier

Les chansons de la Renaissance entendue la veille au soir dans le programme Léonard de Vinci, sur lequel je reviendrai très prochainement, sont les héritières du monde des troubadours. Et c’est ce répertoire des troubadours que le duo de ce troisième concert de l’après-midi, celui réunissant Guillermo Pérez à l’organetto et Pierre Hamon aux flûtes, nous a proposé. Un univers où la rose est un rêve, un songe allégorique.

Ce concert avait décidé de mettre en valeur l’organetto que l’on trouve dans la peinture médiévale. Il y accompagne le chant des anges aussi bien chez Jan Van Eyck dans l’Agneau Mystique que sur de nombreuses fresques, enluminures et retables de la Flandre à l’Italie. C’est un petit orgue portatif médiéval dont la seule main droite joue sur le clavier, la main gauche elle actionne le soufflet présent sur l’instrument. Le timbre très particulier de cet instrument emprunte tout aussi bien à l’orgue qu’aux flûtes et c’est donc tout naturellement que le duo constitué pour ce concert fonctionne. La fusion sonore est d’une plénitude de toute beauté. La combinaison et l’alternance des timbres fait chatoyer le répertoire de l’amour courtois, qu’il soit terrestre ou divin. Il transcende cet univers dont certains des théoriciens de l’époque parlaient de « fleurs » en évoquant l’art vocal des troubadours, en hommage à la ballade éponyme de Guillaume de Machaut. Mais il nous évoque également certaines tapisseries recouvertes de tapis de fleurs et habitées par des animaux mythique ou exotiques.

Et les deux musiciens, dès les deux premières pièces à l’organetto et tout au long de ce concert si coloré, aux lumières si féériques, nous révèlent ce répertoire précieux qui nous renvoie par son pouvoir envoûtant à la délicatesse, à l’harmonie, à l’essence même de la musique et d’un monde où se croisait licornes et chevaliers, belles dames et anges musiciens. Le livre qui s’ouvre devant nous est un jardin extraordinaire qu’il appartient à chacun de nous de déchiffrer, « un vergier d’amour », où les roses deviennent la quintessence du jardin des délices. « Ni vous sans moi, ni moi sans vous », le Lai du Chèvrefeuille, interprété par Pierre Hamon, à la flûte et au tambourin, en remontant le Réfectoire de l’abbaye, nous emporte dans l’univers des troubadours, hommes et femmes, qui furent des passeurs de songes, comme aujourd’hui Guillermo Pérez et Pierre Hamon. Ici tout est nimbé, auréolé d’une lumière tendre. Le son moëlleux de l’organetto nous livre un peu de la tendresse du chant des anges, tandis que la diversité des flûtes théâtralise, ces scènes d’amour courtois ou divin, nuancent leur poésie de joie ou de peine.

@ Monique Parmentier

Le quatrième concert de l’après-midi s’est plu à nous faire remonter le temps et nous faire découvrir la naissance du duo pour violon et violoncelle, au milieu du XVIIIe siècle, alors que la basse continue est peu à peu abandonnée, d’où le titre du concert : « Continuo, Addio ! » Le duo Tartini qui s’est présenté à nous est composé du violoniste David Plantier et de la violoncelliste Annabelle Luis.

Cette musique est une de celle qui me touche le moins en temps normal car elle est celle d’une période de transition, la période classique, qui tout aussi bien dans sa grande histoire, que dans sa littérature et donc dans sa musique, a des caractères qui me semblent souvent ou trop ou pas assez marqués. Et pourtant à l’issue du concert, grâce aux deux artistes, j’ai eu le sentiment d’avoir passé un moment idyllique. La poésie des pages proposées a été interprétée avec tout à la fois tempérament, passion, intelligence, souplesse et lyrisme.

David Plantier et Annabelle Luis nous ont proposé des pièces de Giuseppe Tartini, et de ses disciples Pietro Nardini et du français Pierre Lahoussaye, mais également de Giovanni Benedetto Platti, Francesco Antonio Bonporti. En dehors de Tartini, force est de reconnaître que la postérité n’a pas été généreuse vis-à-vis de ces compositeurs et il fallait tout le talent de deux musiciens accomplis pour parvenir à nous en faire apprécier la grâce, l’éloquence des Lumières devenant si expressive mais toujours élégante, sous leurs traits brillants. David Plantier et d’Annabelle Luis dialoguent avec une belle complicité et ils relèvent le défi de nous révéler la somptuosité des œuvres proposées avec les mêmes qualités interprétatives, phrasés fluides et lyriques, nuances délicates, virtuosité d’un jeu harmonieux et chaleureux. Un équilibre parfait au service d’une musique qui n’attend que de tels interprètes pour retrouver la place qu’elle mérite auprès du public.

@ Monique Parmentier

C’est avec celle et celui que les voix du vent appelaient depuis le premier jour, que s’est achevée cette série de concert de l’après-midi : Arianna et Ferran Savall.

Ce concert était très attendus de tous les publics qui se pressent à Fontfroide en fin de journée, aussi bien les amoureux des répertoires classiques, que ceux qui aiment les répertoires de musique du monde. Et nul ne fut déçu. Ces « autres voix », intitulé du concert, celles qui murmurent pour consoler la Rosa enflorece, ne pouvaient être que celles du vent et de la lumière.

Si Ferran a dès le début été à l’aise avec le choix des Jardins en Terrasse de Fontfroide pour ce concert, le chant et la guitare n’ayant pas de réelles difficultés à se laisser porter par les éléments -et en particulier le vent extrêmement violent qui faisait siffler et hurler les feuillages-, jouer de la harpe dans de telles conditions fut loin d’être une évidence pour Arianna. Mais son talent, son énergie et une attention de tous les instants pour résister d’abord puis s’abandonner ensuite, lui aura permis de nous laisser percevoir combien la harpe est l’instrument de l’harmonie, le préféré des dieux de la lumière et du vent dans de nombreuses traditions ancestrales. Un instrument tout à la fois céleste et porteur du souffle de l’infini, celui qui ouvre les portes de « l’autre monde ».

@ Monique Parmentier

Et comme dans la tradition celtique, secrète et fantasque, elle s’est jouée du vent, l'a séduit, puis dompté, au-point de donner le sentiment d’être un court instant, la virtuose d’une harpe éolienne la plus mélodieuse qui soit. La polyphonie de sa harpe, à la finesse sonore cristalline et aux phrases musicales si fantasmagoriques, a métamorphosé le temps, en devenant le miroir jusqu’au vertige, de l’incommensurable beauté qui émane de la nature, permettant à la lumière progressivement de parvenir à l’instant d’éternité qui miroitait derrière les feuillages. Cette harpe (ces harpes) aura (ont) été (ées), le talisman mystique des voix d’Arianna et de son frère, devenu les messagers de l’infini.

Sur des improvisations vocales toujours aussi fascinantes de Ferran ou des musiques composées par Arianna Savall, une pièce d’Hildegard von Bingen ou des mélodies populaires gaélique ou catalane, ce concert fut un enchantement de tous les instants. La complicité si belle du frère et de la sœur, la supplique tendrement ferme d’Arianna pour obtenir cette extraordinaire improvisation de son frère sur la musique de Kapsberger, ces sourires partagés, cette virtuosité charismatique ont créé une atmosphère d’harmonie et de joie que l’on a pu ressentir, à fleur de peau, au cœur même du public.

@ Monique Parmentier

Cette rose des élysiques qui tout au long des cinq journées du festival avait fleuri, dans cette cour isolée du temps à Narbonne, a ici révélé la quintessence de son parfum, lorsqu’à la fin du bis La Rosa enflorece – un chant sépharade si souvent interprété par leur mère, Montserrat Figueras -, les feuillages ont laissé passer une ligne de poussières d’étoiles jusqu’aux deux interprètes. Le temps a suspendu son vol, la nature a reconnu les siens, lui rendant ainsi le plus bel hommage. La lumière a dessiné ces mots de lumière qui leur étaient destinés, et l’offrande musicale est devenue un instant de partage et de générosité transcendant. Un très grand merci à eux de nous avoir permis de percevoir, la poésie des mondes invisibles au regard, celle qui nous manque tant dans un quotidien de bruit et de fureur.

 

« Là est la rose dans laquelle le verbe divin se fit chair, là que se trouve dans le cœur d’or de la Rose éternelle, celle qui accueille les âmes de la félicité céleste » - Dante

Par Monique Parmentier

1 Leopold Sedar Sengor

 

@ Monique Parmentier

 

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