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Le blog de Susanna Huygens

A Fontfroide, la musique comme un songe

4 Août 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

Comme il est parfois étrange de devoir par une chronique revenir, sur les traces du passé pour le relater. Car ici il ne pourra être question de critique, mais d’un récit, celui du chemin suivi par les âmes sœurs, celui de la mémoire. Et le XIIe festival Musique & Histoire pour un Dialogue Interculturel, me donne de plus en plus, année après année, le sentiment de faire partie d’une famille, que je rejoins pour évoquer les routes empruntées durant l’année écoulée. Des routes qui pour chacun sont parfois semées d’embûches, parfois riantes et chaleureuses, mais hélas aussi tragiques et douloureuses.

Cette famille, ces élisyques revenant sur leur terre, se sont donc retrouvés pour célébrer, rendre hommages, unir et réunir et évoquer les voyages insolites (le titre exact de cette 12ième édition étant « Célébrations, hommages, Solidarité et voyages insolites »).

 

@ M Parmentier

Tout au long de l’année, l’actualité est souvent venue nous rappeler, que la musique fait partie du monde et qu’elle ne peut ni ne doit refuser cette part qui lui incombe de faire du musicien un acteur libre de ses « mots », responsable de ses « rencontres ».

 

Si ma mémoire des cinq journées sera cette année plus fragile et moins précise, plus nébuleuse que les années précédentes, c’est parce que suite à une chute sur la tête dans le cloître le premier jour, elle me fait aujourd’hui parfois défaut. Alors comme Puck, dans le Songe d’une nuit d’été, je vous adresse cette prière : « Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement que vous n’avez fait qu’un somme, pendant que ces visions nous apparaissaient… Oui, foi d’honnête Puck, si nous avons la chance imméritée d’échapper aujourd’hui au sifflet du serpent, nous ferons mieux avant longtemps ». Et si artistes et esprits critiques me pardonnent mes imprécisions, c’est avec un plaisir sincère, que je partage avec vous par ce texte, ces 5 journées et soirées si fantasmagoriques, qu’elles me laisseront à jamais le sentiment d’avoir vécu ailleurs et ici, en un temps lointain et pourtant si présent.

 

Mais avant de commencer ce récit, il m’est impossible de ne pas exprimer par quelques mots toutes mes pensées amicales et respectueuses à Laure d’Andoque, notre hôte à l’abbaye de Fontfroide, ainsi qu’à ses enfants et ses proches. Le premier juillet, nous est parvenu la nouvelle du décès de Nicolas de Chevron Villette, son mari, responsable du Domaine viticole de Fontfroide et du restaurant de l’Abbaye. Jordi Savall, tous les musiciens et les équipes du festival ont tenu à lui rendre hommage aussi bien dans le programme que lors des premiers concerts. Nous ne pouvons que lui renouveler nos sincères condoléances et lui redire à quel point, nous lui sommes tous infiniment reconnaissants de nous accueillir si merveilleusement année après année. Ce lieu unique, si inspirant, contribue à donner une âme toute particulière au festival.

 

@ Monique Parmentier

Le conte que nous a relaté Jordi Savall, cette année, passait plus que jamais par ce dialogue qu’il entretient entre les cultures du monde d’hier et d’aujourd’hui pour mieux construire l’avenir. Ainsi son projet en faveur des musiciens réfugiés, Orpheus XXI, Musique pour la vie et la dignité, initié en début d’année, a-t-il tenu au cours des concerts de l’après-midi, une place phare dans la programmation. Trois concerts, qui ont permis à des musiciens déracinés, réfugiés ou immigrés, de venir au contact du public européen de Fontfroide, afin de favoriser l’écoute de la différence et nous faire entendre le travail réalisé ces derniers mois, en partenariat avec la Saline Royale d’Arc-et-Senans. Trois concerts merveilleux, totalement différents et si riches, nous ont permis de découvrir toute la splendeur des répertoires de la Syrie et de toutes ces régions du Proche-Orient, aujourd’hui totalement ravagées par la guerre et la fuite éperdue de ces populations obligées de se déraciner, après avoir tout perdu, alors qu’elles ne demandaient qu’à vivre en paix.

 

Ces concerts, nous ont rappelé combien cette culture musicale de la Syrie est à l’image d’un pays où longtemps se sont côtoyés et enrichis des peuples d’origines diverses. Cette nation au cœur du monde arabe, nous révèle une musique aux calligraphies arabo-irano-turque, mais où s’invitent aussi un métissage de traditions chrétiennes imprégnées de la musique grecque, mais également juive et kurde.

 

Ces trois concerts ont été menés par trois musiciens professionnels qui ont été durant plusieurs mois, les maîtres des musiciens réfugiés sélectionnés pour bénéficier de la formation qui leur permettra à leur tour de devenir des professionnels et des formateurs.

 

@ Monique Parmentier

Pour le premier, l’oudiste et chanteuse Waed Bouhassoun était accompagnée de quatre musiciens dont deux jeunes filles, Shaza et Jawa Manla qui ont été obligées de quitter leur pays à 8 et 15 ans. Instants de pure poésie que ce concert, mêlant tout à la fois des chants de réjouissances et des lamentations, célébrant les récoltes et l’amitié. Le concert s’ouvre sur le son cristallin du qanun de Shaza Manla, véritable invitation au voyage, à l’ailleurs, que le murmure du vent et des cigales accompagne.

Les voix de Waed Bouhassoun et Rusen Filistek dans des mélopées envoûtantes, libèrent les âmes des douleurs des amours perdus. Au bord de l’inconscience, notre esprit s’échappe vers des mondes étranges et fascinants. Et les deux jeunes sœurs, Jawa (à l’oud) et Shaza Manla dialoguent avec le silence et les souvenirs avec une virtuosité à fleur de peau bouleversante. Le chant de récolte, Mirkut qui conclut ce concert, - avec aux percussions Neset Kutas et Rusen Filiztek qui chante également-, exprime ce moment de joie et de reconnaissance collective. Il nous éblouit, tant il semble faire virevolter les notes comme le grain de blé doré au moment du battage. Jordi Savall, à l’invitation de Waed Bouhassoun est venu rejoindre sur scène les musiciens, pour un bis hommage à la fraternité.

 

Le second concert Orpheus XXI, qui s’est tenu au troisième jour du festival, a été mené avec une énergie vivifiante par l’artiste syrien Ibrahim Keivo. Et de la hardiesse, de la persévérance, il lui en aura fallu pour vaincre les effets d’une météo fantasque et la distance que des langues méconnues peuvent parfois opposer à l’échange. Plus que jamais le répertoire interprété est une offrande à la multiculturalité des racines de la musique syrienne. Et c’est en plusieurs langues, celles des différentes communautés qui peuplent les bords de l’Euphrate, qu’Ibrahim Keivo, tout en s’accompagnant au buzuq, au baghlama ou au saz, nous interprète les poèmes et épopées, dont les textes nous échappent, mais dont la générosité, le lyrisme nous semble d’autant plus évident, qu’il met à son interprétation une fougue et une noblesse qui n’égalent que sa bienveillante présence au cœur même du public. Car luttant contre les éléments, il descend de la scène, tout en s’accompagnant d’un instrument. Il nous interpelle, nous adresse des sourires, nous regarde droit dans les yeux comme l’on regarde un ami, donnant sens à cette rencontre.

 

@ Monique Parmentier

Le troisième concert a été mené par Moslem Rahal, un joueur de Ney syrien, qui travaille depuis quelques années déjà avec Jordi Savall. Entouré de cinq musiciens, quatre syriens et un marocain, il nous a offert un programme d’une splendeur envoûtante. Le répertoire proposé nous dévoile, toujours plus, la luxuriance et la splendeur des arabesques de la musique syrienne. Entre musique sacrée et traditionnelle, d’origine arabe, turque ou sépharade, entre percussions, oud, qanun et ces voix qui nous relatent, nous chantent parfois sur le fil de la voix ou avec ardeur, les émotions qu’ont en commun dans toutes les langues, sous toutes les latitudes les êtres humains.

 

Le ney introduit une atmosphère toute particulière, dès le début du concert. L’on ressent en l’écoutant, le souffle du désert, de la vie, faisant vibrer l’air avec une douceur toute particulière, une poésie mystérieuse et sensuelle.

Le plus frappant durant ces trois concerts, c’est la maîtrise des interprètes. Certes aucun n’est débutant, mais il ne s’agit pas seulement de maîtrise technique des instruments, mais également ce sens de l’improvisation à fleur de doigts qui caractérise ses musiques et qui est rendu possible par cette complicité amicale qui règne entre les musiciens et leurs maîtres.

 

@ DR

Deux autres concerts d’après-midi, bien que ne pouvant pas être directement rattachés au projet Orpheus XXI, mais qui n’en sont pas si éloignés par leurs origines et leur histoire, était programmés. L’un d’entre eux, celui de l’ensemble 3MA a pu comme le concert dirigé par Waed Bouhassoun, bénéficié d’une météo offrant une lumière onirique aux musiciens. Cet ensemble qui réunit 3 grands artistes qui travaillent régulièrement avec le maestro Catalan, l’oudiste et chanteur marocain Driss El Maloumi, l’interprète malien de Kora Ballaké Sissoko et le musicien malgache Rajery qui joue du Valiha, est une des très très belles découvertes faites à Fontfroide, lors de la présentation de deux des grands projets d’Hespérion XXI, Ibn Battûta (première partie) et Les Routes de l’Esclavage.

Les trois instruments à cordes pincées emblématiques de leur pays, offrent un son doux, profond, suave et parfois si translucides, que l’on se laisse ensorceler avec bonheur en les écoutant. Les trois musiciens qui sont de véritables virtuoses, chantent certaines pièces en solo, duo ou trio et ils partagent leur complicité amicale, leurs sourires, leurs affects, une sensation de l’âme avec le public. Entre création et émotion, le répertoire proposé est celui d’un travail personnel et commun. Ici tout est couleurs et plaisir et donne à chaque pièce le goût d’éternité que peut avoir l’instant présent, lorsqu’en vous l’offre à vivre dans son unicité quasi surnaturelle. Un instant d’ivresse et de tendre exaltation.

 

L’avant dernier concert, qui comme celui de Moslem Rahal a dû être rapatrié dans le réfectoire en raison de la météo, souffrant de cet enfermement, tant la musique proposée est festive, n’en a pas moins été magnifique et grisant. C’est l’ensemble mexicain « Tembembe Ensamble Continuo » qui nous l’a offert. Une chanteuse et musicienne, Ada Coronel et trois musiciens Ulises Martínez, Leopoldo Novoa et Enrique Barona, nous ont interprété des chants traditionnels mexicains à l’exception d’une chanson colombienne. Ils s’accompagnent en chantant ces musiques traditionnelles d’Amérique Latine d’instruments de la famille des guitares comme la tiple, la guitarra de son tercera, la jarana jarocha ou le mosquito et plus surprenant un instrument à percussions, le quijada de burro, une mâchoire d’âne ou de cheval.

Le répertoire du métissage qui nous est offert ici, offre un rythme endiablé à des histoires dont on perçoit l’humour grâce aux jeux de voix et onomatopées qui colorent le chant. Le Tembembe Ensamble Continuo est parfaitement à l’aise dans ce marivaudage improbable et naïf, qui fait surgir ce sentiment de liberté qui naît de la musique, alors que le répertoire interprété a souvent été créé par des esclaves. Véritable ode à l’improvisation, tout ici est exubérance et foisonnement. Ida Coronel et ses compagnons sont tout à la fois étourdissants et espiègles, nous laissant le sentiment à fin du concert d’avoir vécu au cœur d’un univers où tout n’est que rire, délectation et joie de vivre. Nous les avons retrouvés lors du dernier concert du soir, sur lequel je reviendrai dans un second article.

 

Afin de mieux faire percevoir le contexte, les raisons et les enjeux d’Orpheus XXI deux conférences ont été organisées, l’une avec la participation de SOS Méditerranée, l’autre avec Malika Pondevie, chercheuse sur la Civilisation Arabe Médiévale et sur l’histoire de l’Afrique du Nord Antique.

 

@ Monique Parmentier

La première a retenu contre toute attente un très large public. Organisé avec la collaboration de la Cimade et du Groupe Interreligieux pour la Paix de l’Aude, elle s’est tenue avec la participation de Jordi Savall, Waed Bouhassoun, de Jean-Pierre Lacan de SOS Méditerranée et deux bénévoles de cette organisation. Le débat a été introduit par la lecture de trois témoignages bouleversants des rescapés de ces frêles embarcations qui chaque jour tentent de traverser la Méditerranée. Des enfants, des femmes, des hommes qui ne demandent qu’à vivre en paix affrontent toutes les peurs, les passeurs, la violence des éléments et des hommes, dans l’espoir d’échapper aux bombes ou tout simplement en quête d’une vie meilleure pour leurs enfants. Tous les jours meurt en Méditerranée, cette mer, mère de toutes les civilisations d’Occident, des dizaines, des centaines d’êtres humains. Ces survivants ont donc vu mourir des proches, des amis. Leur désarroi est infini et pourtant aucune haine dans leurs propos. Jean-Pierre Lacan a parfaitement su faire prendre conscience des faits réels au public qui s’est montré très attentif et réactif. Le sensationnalisme de la présentation par les médias généralistes de la tragédie qui se joue n’en apparaît que plus évidente. Ces échanges avec Jordi Savall et le témoignage de Waed Bouhassoun, ont été tout à la fois passionnants et chargés d’émotion.

 

La seconde conférence, celle tenue par Malika Pondevie a malgré son caractère plus didactique, attiré l’intérêt d’un public très attentif. Elle a traité son sujet avec beaucoup de délicatesse et de savoir-faire. Car il est plus que jamais nécessaire de rappeler que la civilisation arabe médiévale a non seulement été fastueuse mais qu’elle a fait don, à l’Occident, par sa fertilité d’un univers sans lequel il n’aurait pas évolué vers plus de complexité. Son travail sur les textes antiques, mais également son art de vivre sont incontestables. Malika Pondevie a dévoilé également les points de rupture qui aujourd’hui encore divisent au lieu de nous réunir.

 

Orpheus XXI est un projet qui par les musiciens réfugiés ou immigrés a pour vocation de faire connaître les musiques et la culture des pays dont sont originaires les musiciens. Si cette année la Syrie occupait une place prépondérante on trouve au côté du maestro des musiciens de toutes origines. Avec l’aide du Groupe interreligieux pour la paix de l’Aude les portes de l’abbaye ont été ouvertes pour les concerts de l’après-midi à de jeunes migrants et des familles défavorisées. Tout un public qui ne vient traditionnellement pas au concert, ni même visiter des lieux patrimoniaux. Leur écoute, leur intérêt est le plus bel hommage qui puisse être rendu au travail des musiciens. Il y avait dans la gravité de leurs regards et dans la joie de leurs applaudissements, ce petit plus qui relève de l’état de grâce et qui en terrasse ou dans le réfectoire font des concerts de l’après-midi à Fontroide, des moments attendus et vécus avec ferveur. Mille e mille volte grazie, un millón de gracias, mille fois merci et que l’on aimerait savoir le dire dans toutes les langues, à Jordi Savall, aux musiciens et à ses équipes, de donner au mot Fraternité tout son sens par et avec la musique.

 

 

XIIe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel – Célébrations, hommages, Solidarité & voyages insolites – Du 15 au 19 juillet 2017

Hespèrion XXI – La Capella Reial de Catalunya – Le Concert des Nations

Musiciens invités d’Afghanistan, Argentine, Arménie, Brésil, Chine, Espagne, Grèce, Italie, Madagascar, Mali, Maroc, Mexique, Syrie et Turquie

 

Jordi Savall

 

Par Monique Parmentier

 

 

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