Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Susanna Huygens

Alessandro... une version vivifiante

19 Mai 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

Alessandro.jpgAlessandro, George Frideric Haendel

Opéra en trois actes sur livret de Paolo Antonio Rolli, d'après celui d'Ortensio Mauro

Decca

Cet enregistrement est un petit joyau qui scintille sous toutes ses facettes. Ici tout est joie de chanter et de vivre. On se laisse volontiers emporter par la fougue des interprètes que le jeune prodige, devenu un des plus éminents et créatifs contre-ténor du moment, Max Emanuel Cencic a réuni autour de lui.

Enregistré avant Artaserse, l'autre production que le contre-ténor croate a révélé au public cet hiver et qui a connu un grand succès, cet Alessandro de Haendel, n'est arrivé dans les bacs qu'après ce dernier. Certes, l'œuvre du Caro Sassone, n'est peut - être pas totalement aussi passionnante que celle de Leonardo Vinci, mais elle ne manque pas de charmes et de qualités, qu'une distribution sans faille relève avec panache.

Lorsqu'il écrit Alessandro en 1726, Haendel est au fait de sa gloire londonienne. Il dispose des meilleurs chanteurs, formant une troupe flamboyante, qui se produit jusqu'à cinquante soirées par an : la Royal Academy of Music. Parmi ses vedettes le castrat alto Senesino et la soprano italienne Francesca Cuzzoni. Mais comme le public en demande toujours plus, il n'hésite pas à faire venir une autre soprano transalpine, Faustina Bordoni à l'occasion de la création d'Alessandro. Il demande à son librettiste Paolo Antonio Rolli, de réadapter le livret d'origine d'Ortensio Mauro, pour favoriser des joutes vocales entre ses deux vedettes féminines. Joutes qui se poursuivirent bien au-delà de la scène alimentant ainsi le goût du scandale et de la fureur d'un public dont la passion pour l'opéra, le portait à toutes les extravagances possibles.

Autour du personnage d'Alexandre, deux princesses, l'une scythe et l'autre perse se disputent son cœur : Rossane et Lisaura. Allant de victoire en victoire à travers l'Asie Alexandre se trouve mis en difficulté devant la ville d'Oxydraque. Mais grâce à sa vaillance et à la fidélité du Général Clito, le seul qui ose par ailleurs lui tenir tête, il finit par triompher. Au camp des armées, l'attendent les deux princesses rivales qui s'inquiètent pour lui, tandis qu'Alexandre va de l'une à l'autre, leur déclarant une flamme identique avec une insouciance digne de celui qui se prend désormais pour le fils de Jupiter. Le roi de l'Inde Tassile, est quant à lui amoureux de la fière Lisaura, mais il doit la vie à Alexandre à qui il voue une sincère amitié et ne peut donc déclarer à cette princesse sa flamme. Le général Leonato jaloux d'Alexandre n'hésite pas à tenter de le faire tuer, mais ce complot échoue, renforçant l'Empereur dans sa conviction d'être de nature divine. Cela le persuade également, que le seul coupable possible de cette tentative de meurtre, est aussi celui qui lui a toujours dignement tenu tête, le général Clito. Il demande à Cleone, un autre général macédonien de l'arrêter.

Il finit par comprendre qu'il est sincèrement amoureux de Rossane. Il en fait part à Lisaura, lui annonçant qu'il ne souhaite pas s'opposer à l'amour du fidèle roi des Indes Tassile pour cette dernière. Les conspirateurs qui se sont réunis, décident d'affronter Alexandre et son ami fidèle, après avoir rallié Clito. Battus ils demandent leur grâce à Alexandre qui l'a leur accorde bien volontiers. Lisaura accepte enfin l'union avec Tassile, tandis que Rossane et Alexandre s'unissent.

C'est un plateau vocal somptueux que Max Emanuel Cencic et Parnassus Arts Productions ont rassemblé pour défendre cette œuvre, qui n'est pas totalement inconnu et à déjà bénéficié d'autres enregistrements.

L'enthousiasme et sa maîtrise technique de Max Emanuel Cencic, lui permettent d'aborder le rôle de l'empereur macédonien avec une facilité désarmante. Son timbre sensuel, sa virtuosité, sa grande sensibilité créent un personnage bien plus complexe qu'il ne peut paraître de prime abord. Son Alexandre est tout à la fois démesure et générosité, vaillance, tendresse et folie. Il souligne avec acuité les faiblesses d'un souverain absolu, le rendant plus humain, peut-être plus adolescent que ridicule dans sa quête d'une paternité divine. Rien ne lui fait peur, et c'est avec beaucoup d'intelligence qu'il nous offre un Alexandre séduisant au possible.

Quant au duo féminin, j'avouerai une petite préférence pour la jeune soprano russe Julia Lezheneva.

Son timbre lumineux qui irradie, sa dextérité technique qui s'écoule comme une onde vive, que ce soit dans "Alla sua gabia d'oro" ou dans  "Lusinghiero dolce pensiero" où elle se régale de chaque mot et de chaque note, font de chacune de ses interventions des instants vraiment jubilatoires. Elle est une héroïne douce et fragile, constante et résolue, qui ne peut que séduire le plus puissant des rois. Sa technique impeccable et son magnifique phrasé se retrouvent également chez Karina Gauvin. La soprano canadienne à la voix flexible et charnue est une rivale digne et royale. Elle donne à ressentir dans "Che tirannia d'amor", toutes les souffrances d'un amour non partagé et la noblesse déchirante d'une femme blessée qui se refuse aux effets pervers de la jalousie. Les duos entre les deux soprani permettent une fusion des timbres d'une grande séduction.

Le reste de la distribution est tout aussi exceptionnel, avec en particulier le contre-ténor Xavier Xabata, -dans le rôle de Tassile, le roi des Indes-, dont la rondeur et la suavité du timbre font de son "Vibra cortese d'amor" certainement l'un des plus beaux moments de cette version d'Alessandro. In-Sung Sim offre à son Clito, ce général qui au nom de sa fidélité au roi Philippe, lutte contre la folie son fils, une belle autorité, tandis que Juan Sancho, est un traître vaillant à la voix homogène et agile. Enfin dans le petit rôle du serviteur attentif et ambitieux, Cleone, Vasily Khoroshev ne démérite pas bien au contraire. Il fait preuve de mordant dans son air "Saro qual vento che nell'incendio spira".

La direction tout à la fois élégante et dynamique de George Petrou, soigne les couleurs, offrant une palette chatoyante aux chanteurs. L'ensemble Armonia Atenea, sur instruments d'époque, par sa palette et une belle énergie, aussi bien dans les arie que dans les récitatifs accompagnés, révèle tout à la fois la fureur et la poésie élégiaque de la partition de Haendel.

La musique est avant tout un plaisir que l'on partage pour rendre la vie plus belle. C'est bel et bien ici le cas lorsque s'achève Alessandro, une folle envie de le découvrir à la scène nous accompagne. Pas de doute, la passion de Max Emanuel Cencic pour des partitions rares ou oubliés et le soutien sans faille de Parnassus Arts Productions offrent au public un renouvellement du répertoire plein de vitalité.

Par Monique Parmentier 

Distribution : Alessandro Mago, Max Emanuel Cencic ; Rossane, Julia Lezneva ; Lisaura, Karina Gauvin ; Tassile, Xavier Sabata ; Leonato, Juan Sancho ; Clito, In-Sung Sim ; Cleone, Vasily Khoroshev.

3 CD Decca - Durée : CD1, 78'07 ; CD 2, 66'04 ; CD 3, 45'55. Enregistré à Athènes  du 2 au 5 et du 9 au 15 septembre 2011 au Dimitris Mitropoulos Hall, Megaron, The Athens Concert Hall, Athènes. Livret en français, anglais, allemand. Réf : 478 4699. Code Barre : 28947 8499

Lire la suite

L'innefable mélancolie de la viole

12 Mai 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel_couperin_jordi-copie-1.jpgAlia Vox Héritage - François Couperin - Pièces de violes 1728 (réédition)

Jordi Savall - Ton Koopman - Arianne Maurette

Ce Cd est en fait une réédition d'un enregistrement réalisé pour le label Astrée en 1975. Celui qui porte le n° 1 de sa collection. A son écoute, on ne peut s'empêcher de penser, qu'il est certains enregistrements, comme celui-ci, qui ont une âme si intense, si fulgurante qu'ils rendent quasi impossible toute autre proposition.

En 1975, Jordi Savall n'a encore jamais joué sur un instrument d'époque, uniquement sur une copie. Et pourtant il dépasse, transcende immédiatement la technique instrumentale, redonne un souffle de vie à un instrument dont la voix s'était tue depuis bien longtemps. Il nous émerveille, en nous révélant la grâce ineffable, qui émane des pièces de violes de François Couperin qui elles aussi avaient été réduites au silence et à la poussière.

Mais doit-on s'étonner de la maturité de cet artiste dès cette époque, quand on sait combien tout au long de sa vie, il a su reconnaître l'importance et la valeur des rencontres qui lui ont permis d'avancer. Et c'est à ces rencontres qu'il dédie cette réédition.

Il évoque dans le superbe livret qui accompagne ce CD avec beaucoup de chaleur, d'amitié, d'amour et d'humanisme, ces êtres exceptionnels qu'il a croisé tout au long de sa vie. Sans eux, ce n'est pas seulement sa carrière et sa vie qui eurent peut-être pris d'autres chemins, mais plus encore tout le mouvement baroque qui n'aurait probablement été qu'un épiphénomène élitiste, comme certains de ses détracteurs à l'époque l'avancèrent.

Après une évocation de celle qui fut sa muse et notre amie à tous, Montserrat Figueras, il rend ici hommage à celle sans qui cet enregistrement n'aurait jamais vu le jour : Geneviève Thibault, Comtesse de Chambure. Cette dernière tint un rôle essentiel auprès de la génération baroque à laquelle appartient Jordi Savall. Cette grande collectionneuse d'instruments anciens, savait être généreuse et loin de vouloir se contenter d'accrocher ses trésors sur des cimaises ou de les enfermer à double tour, elle les prêtait bien volontiers. Et c'est ainsi que  le jeune musicien catalan pu disposer d'une belle basse de viole à sept cordes d'un facteur anonyme de la fin du XVIIe siècle, pour travailler. Et c'est cette basse de viole au "son chaleureux et ample" que nous entendons ici.

C'est par la Comtesse de Chambure qu'il rencontra l'autre personnage essentiel, à cette belle aventure : le fondateur du label Astrée qui devait l'accompagner durant 25 ans, Michel Bernstein. Ces pièces de violes de François Couperin avec celles de Marin Marais, signèrent la naissance de ce label. L'ensemble de ces enregistrements sont devenus des références, malheureusement disparues des linéaires. A tous ceux qui aiment cet instrument si sensible, à fleur d'émotions qu'est la viole, Jordi Savall fait don de cette réédition indispensable, ainsi qu'à tous ceux qui contribuèrent à la "Deffence & Illustration de la Musique Française".

François Couperin a 60 ans lorsqu'il compose ces deux Pièces de violes. Certains ont avancé qu'elles l'ont été en hommage à Marin Marais qui vient de mourir. Mais il n'en est rien. Ses pièces testamentaires, François Couperin, alors totalement retiré de la vie musicale, devait disparaître cinq ans après les avoir composées, ne nous sont parvenues qu'en un seul exemplaire. Celui-ci dormait à la BNF, sous le couvert d'un quasi anonymat, qui réduit la signature de Couperin à des initiales: "M.F.C." Cet unique exemplaire porte la date de publication de 1728. Modeste et discret, Couperin ne connut jamais la gloire, mais une belle carrière, recueillant l'estime de tous.

Sa musique est à son image comme l'écrit si justement Harry Halbreich dans le livret : "il ne quitte qu'exceptionnellement ce domaine de la confidence où l'esprit se borne à être le serviteur efficace du cœur et des sens réconciliés". Il précise également, nous permettant ainsi de mieux cerner encore cette personnalité attachante, mélancolique et douce, à propos de sa fameuse devise  "J'aime mieux ce qui me touche que ce qui me surprend", "qu'elle implique toute une esthétique accordant la primauté à l'expression naturelle, et qui, loin d'exclure la recherche l'exalte au contraire, au service exigeant de cette juste expression".

Je vous invite très chaleureusement à lire ce livret composé de trois textes admirables, l'un de Jordi Savall, l'autre de Michel Bernstein et le dernier de Harry Halbreich. Il nous rappelle par sa qualité tant esthétique que rédactionnelle qu'un CD, ce n'est pas seulement "une galette" sur laquelle on grave de la musique, mais également et surtout un objet précieux et intelligent qui redonne vie à des univers musicaux dans toute leur contextualité.

Outre la viole historique dont dispose ici Jordi Savall, Ton Koopman bénéficie d'un clavecin Gilbert des Ruisseaux, conçu du temps de la jeunesse de François Couperin et Arianne Maurette d'un Barak Norman de 1697 qui lui fût prêté par Jordi Savall.

La complicité entre les trois musiciens ne fait aucun doute et si la basse de viole de Jordi Savall est certes dominante, faisant chanter les ombres et les reflets, il est magnifiquement accompagné par Ton Koopman et Arianne Maurette. La luxuriance instrumentale dans la Passacaille de la Première Suite est envoûtante et fascinante, tant elle semble habitée la danse d'une nostalgie lumineuse.

Ici les voix murmurent leur douloureuse et pourtant si sereine mélancolie. Jordi Savall fait chatoyer toute la gamme expressive de la viole. En un soupir, en une caresse, ils redonnent vie à ces fantômes et souvenirs qui nous entourent. Les Préludes de la Première et Deuxième suite, sont des invitations à la méditation qui suspendent le temps. La Pompe Funèbre de la Seconde Suite, est comme un chant ensorcelant qui nous emporte vers cet autre monde où le cœur s'apaise en toute confiance tandis que la Chemise blanche semble danser tel un papillon virevoltant suivant cet enterrement en une folle ascension.

Entre rigueur et imagination, la fine sensualité de la musique nous enveloppe ici, nous apaisant, en faisant de l'instant fugace, un pur joyaux de virtuosité et d'humanité.

Cet enregistrement ne peut que trouver une place d'honneur dans votre discothèque. Il nous offre un instant de vérité, d'une spiritualité à l'universalité généreuse et bouleversante.

Par Monique Parmentier

 

1 CD Alia Vox - Durée : 43'43'' - Enregistrement réalisé en l'église de Saint Lambert des Bois, Yvelines, en décembre 1975 par les soins du Dr Thomas Gallia, Milan -Réf ALIA VOX AVS 9893 - code barre : 7 619986 398938

Lire la suite

Torelli en France : des débuts difficiles

9 Mai 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

cadredescene_petit-Bourbon.jpgJe vous invite à me suivre et à pousser les portes d'un théâtre aujourd'hui disparu, qui avait pour nom le Petit Bourbon. Situé face à Saint-Germain l'Auxerrois, en lieu et place de la Colonnade de Perrault que nous connaissons tous aujourd'hui. Il va accueillir, ce "Grand Sorcier", que j'avais laissé il y a quelques mois, alors qu'il s'apprêtait à quitter Venise, ville du songe baroque par excellence, qui vit naître grâce à lui en partie, l'opéra public, tel que nous le connaissons aujourd'hui. Voici un dessin, qu'il réalisa de la salle, aujourd'hui conservé dans le fond des Menus Plaisirs, aux Archives Nationales, fond documenté par Jérôme de la Gorce.

Torelli arrive en France en juin 1645 persuadé que la Cour de France va être fasciné par ses dons et qu'il va y acquérir une renommée internationale. Les débuts difficiles qu'il va y connaître, sont en partie du à une erreur d'interprétation de sa part quant à celui qui le recrute. Non la Reine de France comme il le pense mais les Comédiens italiens.

Anne d'Autriche recherche en fait un machiniste et un maître de ballet pour ces derniers. anne-autriche-rubens.jpgElle a pour cela écrit à Odoardo Farnèse (1622-1646), duc de Parme, son interlocuteur habituel en Italie pour ce type de question.

Dans son courrier elle ne lui demande pas de faire venir Torelli, mais le chorégraphe Giovan Battista Balbi (date sous réserve 1617-1657, on le sait actif dans la première moitié du XVIIe siècle), dit Tasquin. Balbi et Torelli se connaissent. Balbi étant empêché, le duc de Parme ne peut immédiatement répondre à la demande de la Reine de France. Voulant la satisfaire, il contacte Giacomo Torelli, dont on pense qu'il l'a connu alors que ce dernier faisait son apprentissage auprès de l'architecte du Teatro Farnese, Giavan Battista Aleotti (1546-1636). 

Voici cette lettre qui devait tout changer et dans laquelle Torelli n'est pas cité :

"... Mon cousin, la troupe des Comédiens italiens estant retenue en France et entretenue par le Roy, Monsieur mon fils, ne se trouve pas si complète que l'on a besoing de quelques acteurs de vos états. C'est ce qui m'oblige à vous faire ce billet pour vous briller de vouloir permettre au nommé Buffette1 de venir en France avec Anjuline, femme de Fabriccio, napolitain ; et si elle ne pouvait pas venir Ipolita ou Diana pourront prendre la place. Je vous demande aussi Jean Baptiste Balbi, dit Tasquin, danseur et décorateur de Téatre appelé Camillo [...]. Paris, le 12ième jour de mars 1645. Anne2.

Torelli 5059C'est en fait à l'initiative des Comédiens Italiens que le scénographe vénitien doit son invitation à venir à Paris. Ce sont eux qui ont permis à Anne d'Autriche de rédiger ce courrier. Ce qu'il ignore apparemment de toute bonne foi et qui va provoquer chez lui une réaction de rejet et de nombreux soucis avec les Comici. Ces derniers sont à l'époque connus non seulement pour leur talent en matière d'improvisation et de sens du comique, mais également pour les tragédies qu'ils montent régulièrement. Leur vaste répertoire demande à développer des moyens scénographiques. Si bien souvent c'est à l'intérieur de la troupe qu'ils trouvent les ressources nécessaires pour y faire face, il arrive aussi que les problématiques en matière de mise en scène nécessitent de vrais spécialistes. Deux de leurs comédiens viennent de rentrer en Italie et ils doivent les remplacer. Ils savent que de son côté Mazarin s'apprête à embaucher sa propre troupe d'Italiens tout en étant également en pleine querelle avec les Comédiens français de l'hôtel de Bourgogne. Faire connaître aux Français les spectacles vénitiens dont la splendeur a acquis une certaine réputation est donc pour eux une manière certaine de se renouveler et de faire face à la concurrence.

La Cour de France est friande d'intermèdes dansés et des divertissements intégrés dans les pièces de théâtre. Quant au public, que ce soit celui de la Cour ou de la ville, il aime la féérie et les enchantements que l'on retrouve dans la littérature de l'époque. De plus il souhaite désormais voire dépasser la splendeur des costumes et est donc prêt à se laisser emporter par des effets de machinerie vers ces "autres mondes" où règnent les sortilèges et la folie, le songe, les dieux et le romanesque.  Les Comédiens Italiens souhaitent donc monter la Finta Pazza pour s'assurer ce public exigeant.

Particulièrement déçu à son arrivée de découvrir qu'il n'est donc pas directement employé par la Reine de France, lui qui est issu de la noblesse, Torelli rechigne très sérieusement à travailler pour les Comici. Et ses regrets sont d'autant plus accentués qu'il apprend qu'un spectacle se prépare à la Cour, dont la machinerie est confiée à un français. Il se plaint amèrement de cette situation au duc de Parme, en écrivant en juin 1645 et janvier 1646, au secrétaire de ce dernier le marquis Gaufredi. Il souligne entre autre qu'un homme "exerçant une profession aussi honorable et relevée que la sienne soit au gage d'une troupe d'acteurs". Il menace d'ailleurs à plusieurs reprises de rentrer en Italie. Et c'est l'intervention directe de la Reine qui va l'obliger à se mettre au travail. Cette dernière lui demande expressément "de ne pas porter préjudice aux entreprises des Comici"

.

Après une période d'inactivité, il comprend qu'il ne peut faire autrement quFinta-Pazza.jpge d'éblouir Paris, pour parvenir à toucher la Cour de France et il se met donc au travail. Les Comédiens Italiens lui ont commandé la Finta Pazza qu'il a créé en 1641 au Teatro Novissimo. Il dispose de la grande salle du Petit-Bourbon. Pour réaliser ses mouvements de machine et construit un cadre de scène qui paraît aux contemporains aussi élevé que les églises voisines.

L'œuvre est adaptée au goût français, des coupures sont effectuées, les récitatifs remplacés par des dialogues, des ballets rajoutés, ainsi qu'un Prologue. Comme à Venise, Torelli se préoccupe de la publicité de son travail et fait graver en taille-douce par Nicolas Cochin les dessins de ses décors, bien avant même les représentations

Transporté dans le jardin de Flore, dès le lever de rideau (usage déjà en pratique à Paris), le public découvre les effets de la perspective créées par trois allées de cyprès qui aboutissent à un palais. Puis surgit la première machine de la droite de la scène : un char portant l'Aurore, tiré par deux génies brandissant des flambeaux. Prologue.jpgLes lumières tiennent également une place importante dans le travail de Torelli. On pense qu'il s'est pour cela inspiré du traité Pratica di fabricar scene e macchine ne' teatri de Nicola Sabbattini (1574 - 1664). Après avoir reçu trois lys d'or d'esprits ailés, le char de Flore quitte sans bruit la scène par la gauche, tandis que le décor de l'Acte 1 remplace tout aussi silencieusement celui du Prologue. Pour plaire aux parisiens Torelli remplace le Port de Venise par l'île de la Cité en fond de décor. Vous pouvez retrouver la description de ce ballet dans le livre de Marie-Françoise Christout : Le ballet de cour de Louis XIV. La représentation eut lieu le 14 décembre 1645 devant la Régente et fût un succès. 

Dans ces décors imprégnés de l'esprit baroque, tout est mouvement et surcharge décorative. Si les parisiens ont déjà bénéficié du travail de décorateurs imaginatifs, le luxe des costumes palliait bien souvent à l'absence réelle de machinerie et de décors et les moyens mis en œuvre par Torelli, ne font preuve d'aucune modestie, bien au contraire. Les changements à vue, ne laissent aucun temps morts. L'extravagance va même jusqu'à inclure des ballets à entrées d'ours, de perroquets et autres animaux destinés à amuser le roi (rappelons qu'à l'époque Louis XIV n'a que 7 ans) et dont la chorégraphie est due à Giovan Battista Balbi. Les ours sont fait de carapaces en osier cousues de fourrure portées par des enfants et les perroquets des figurines manipulées par les indiens (voir ci-dessus) à l'extrémité de bâtons. Valerio Spada en a gravé les figures, à la demande de ce dernier. Balbi BruxellesVoiture et Maynard dédièrent des sonnets enthousiastes à Mazarin. Quant au sévère Olivier Lefèvre d'Ormesson, il écrivit dans son journal : " Entre toutes ces faces différentes la perspective était si bien observée que toutes ces allées paraissaient à perte de vue quoique le théâtre n’eust que quatre ou cinq pieds de profondeur... L’aurore s’élevait de terre sur un char insensiblement et traversait ensuite le théâtre avec une vitesse merveilleuse. Quatre zéphirs étaient enlevés du ciel de mesme tandis que quatre descendaient du ciel et remontaient avec la mesme vitesse. Ces machines méritaient d’être vues"

Mais rappelons tout de même que Torelli n'est pas seul, même si dès cette époque, c'est son nom que l'on retient. La Finta Pazza (la Folle supposée) est une comédie lyrique en un prologue et trois actes qui requiert de gros moyens. La musique composée par Francesco Paolo Sacrati (1602-1650), retient l'attention et plus encore les chorégraphies de Balbi, l'autre nom que l'histoire va retenir.

 

La troupe des italiens, dont certains noms apparaissaient dans le courrier d'Anne d'Autriche, s'est en partie recomposée en même temps que l'arrivée de Torelli.

dellabella02 Le célèbre zanni Buffetto, acteur et musicien, Carlo Cantù (1609-1664), - dont l'image gravée ci-dessus le représente avec la guitare et des instruments musicaux à ses pieds dont il sait jouer, sur le fond de la vue de Paris avec le Pont Neuf qui évoque la scène réalisée par Torelli, dans la Finta Pazza- qui était auparavant au service des Farnese, est une recrue de choix. Torelli rendit malgré ses relations difficiles avec les Comici, hommage au travail des chanteuses dans son Explication des décors du théâtre et les arguments de la Pièce : à la Lucilla qui tenait le rôle de Flora (Luisa Gabrielli), à la Diana (Giulia Gabrielli) qui tenait les rôles de Teti et de Deidamia et à  Margherita Bertolazzi qui chanta le Prologue dans le rôle d'Aurora ("dont la voix est si ravissante que je ne puis la louer assez dignement"). On trouve également dans la distribution Anna Francesca Costa, dite "la Checca". Le succès italien puis français de la Finta Pazza montre combien "cette œuvre joua un rôle premier dans la mise en place du circuit qui, à partir de la première moitié du XVIIe siècle, unifia durablement le marché de l'opéra, de Milan à Naples, avec son centre propulseur à Venise".

Torelli retrouvera les Comici en 1658, pour "Rosaure, Impératrice de Constantinople". Mais nous y reviendrons.

En attendant et fort de ce succès de Torelli que confirme toutes les gazettes de l'époque, la Reine décide de l'adjoindre au Duc D'Enghien pour l'organisation de ce fameux grand ballet de cour, qu'il a cru devoir lui échapper et qui doit se dérouler durant l'année 1646. Dès le 11 janvier de cette année toutefois, il doit s'occuper de monter Egisto. Non celui de Cavalli comme on l'a longtemps cru, mais celui de Marazzoli donné en l'honneur du Cardinal Antonio Barberini de passage à Paris. La première représentation en a lieu le 13 février en présence d'une Madame de Motteville qui s'y ennuie. C'est le cardinal romain qui suggère à Mazarin de faire venir d'Italie, le compositeur Luigi Rossi. Toute une équipe de chanteurs et d'artistes arrive en même temps que lui. Ils vont tenter avec l'Orfeo de faire découvrir et aimer l'opéra italien au public français.

 

Acte1_scene3.jpg

 

CE DOSSIER ETANT EN COURS DE REDACTION, J'ESPÈRE QUE VOUS ME PARDONNEREZ LES ERREURS ET FAUTES QUI PEUVENT S'Y TROUVER

 

Sources :

- Giacomo Torelli, l'invenzione scenica nell'Europa barocca

- Les lieux de spectacle dans l'Europe du XVIIe siècle : actes du colloque du Centre de recherches sur le XVIIe siècle européen, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 11-13 mars 2004 / édités par Charles Mazouer

- Marie-Françoise Christout : Le ballet de cour de Louis XIV.

 

Iconographie :

- Petit Bourbon, dessin de Giacomo Torelli - 1660 - Archives Nationales - Fond des Menus Plaisirs

- Portrait de la Reine Anne d'Autriche par Pierre Paul Rubens (1577-1640) au Musée du Louvre

-Jardin de la cour Royale, Acte II, scène 5 et 8, Dessin préparatoire, Paris, BNF, Bibliothèque, Musée de l'Opéra

- La Finta Pazza, dessin de Giacomo Torelli et Nicolas Cochin, Archives Nationales, Fond des Menus Plaisirs

- Prologue, jardin de Flore, dessin de Giacomo Torelli, Bibliotheca Federiciana,  Fano, Italie

- Ballet des perroquets - Gravure de Valerio Spada (Bruxelles, 1649), Bruxelles, Archives de la ville. Un exemplaire est conservé en France à l'INHA

- Carlo Cantu dit Buffeto par Stefano Della Bella et Jean Couvay. Da Cicalamento in caazonete ridicolose o vero trattato di matrimoni tra Buffetto e Colombina comici. Firenze, Massi 1646

- Palais de Licomède, Acte 1, Scène 3, Peinture sur toile réalisée au XVIIIe siècle, sans attribution. Pinacoteca Civica, Fano, Italie

Armoiries

Lire la suite