Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Susanna Huygens

Les routes de l'esclavage : un chant à la vie

26 Avril 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

La nouvelle fresque musicale que nous offre au CD/DVD Jordi Savall a été créée en 2015 au Festival de Saint-Denis et a été le programme phare de la 10ème édition du Festival Musique et Histoire, pour un dialogue interculturel de Fontfroide. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’a été réalisé l’enregistrement qui fait l’objet de cette nouvelle édition d’Alia Vox.

 

Nous avions pour ODB été sur place à cette occasion et l’émotion qui émane de ce programme est restée si vive que dès les premières secondes d’écoute, on se retrouve transporté bien plus loin que dans l’abbatiale, aux confins des horizons et du temps, au cœur d’une mémoire ensanglantée, fervente et éloquente, véritable ode à la vie.

 

L’esclavage est un véritable fléau qui a ensanglanté l’histoire de l’humanité depuis plusieurs siècles, mais qui a pris au cœur même du continent, où l’humanité à ses racines, un tournant particulièrement violent qui a arraché plusieurs générations des peuples d’Afrique, les condamnant à une vie de souffrances impitoyables. Ces femmes et ces hommes n’avaient aucun autre espoir d’échapper à l’oppression que la mort… Et pourtant tout au long, de ces siècles sans avenir, ils ont pour certains, par la musique opposé un acte de foi absolu en la vie.

 

Que ce soit ces peuples d’Afrique, mais également les amérindiens, tous ont exprimé par cette voie unique, une forme de résistance, qui leur a permis de maintenir vivante la conscience de leur origine, une âme par-delà cette négation même de leur humanité.

 

Le maestro Catalan a réuni autour de lui, pour rendre vivante et vibrante, cette évocation d’une des pires tragédies humaines, des musiciens d’horizons multiples, tant d’Europe, que d’Afrique et d’Amérique du sud. Faisant appel à des répertoires d’une diversité multiculturelle, dont on ne peut que s’émerveiller de la beauté et de la spiritualité si radieuse. Villancicos dit de negros, de mestisos, … des negrillas, des gugurumbés y côtoient la parole des griots.

 

On oscille ici entre récit tragique et musique exubérante, nimbée d’un mysticisme onirique et instinctif. Le programme est avant tout un récit. Celui de la mise sous domination de l’Afrique et des Amériques, de la déportation des différents peuples soumis à l’esclavage, de leur souffrance et de leur lutte pour reconquérir leur liberté tandis que l’Europe blanche crée des textes de loi tous plus monstrueux les uns que les autres (comme nous le rappelle le texte d’Hans Sloane de 1661 ou le Code Louis XIV qui codifie les sanctions que doivent subir les esclaves qui se révoltent). Puis apparaît, progressivement comme semblant renaître de ses cendres et dont la musique seraient les braises, la lueur de la liberté.

 

Dans la tradition mandingue, la musique est avant tout un réceptacle de l’histoire et de la tradition, une messagère, un souffle qui apporte harmonie et amour, maintenant la paix.

 

Et la présence des artistes maliens au cœur de ce programme lui donne son équilibre et sa force vitale.

 

Comme un appel d’une profondeur insondable résonne d’abord une flûte amérindienne (Pierre Hamon, dont le talent tout au long du programme, fait surgir par le souffle des flûtes, le mystère, la mélancolie ou l’exaltation), puis le rythme lent d’une percussion qui semble murmurer la menace qui se profile. (Signalons au passage l’incroyable richesse des percussions dans ce programme, non seulement celles de Pedro Estevan qui accompagne Jordi Savall régulièrement, mais toutes celles de l’ensemble mexicain Tembembe Ensamble continuo, qui sont une ode à la créativité des peuples les plus démunis).

 

Le récit est confié au comédien français d’origine malienne, sociétaire de la Comédie Française, Bakary Sangaré. Il irradie de son interprétation bien plus qu’un talent de conteur, une émotion douloureuse et fervente, un cri et un chant. Sa voix mélodieuse porte à fleur de mots, la mémoire des larmes et du sang versé.

 

La voix de velours de Kassé Mady et sa gestuelle si gracieuse, accompagné par trois ensorcelantes choristes, fait renaître un monde subtil, poétique, mystique, parfois épique. Il façonne la parole, qui par son pouvoir bénéfique réconcilie et affranchit l’âme de toute douleur.

 

La luxuriance musicale, les couleurs vives des ensembles ici réunies, tant instrumentales que vocales, sont la quintessence même de cette pulsion de vie qui ne se résigne jamais, s’oppose sans arme mais avec conviction à cette Europe ténébreuse qui la nie. Dans la pièce, Bom de Briga, le chant âpre et incandescent de Maria Juliana Linhares, l’exubérance des flûtes et des percussions et du rythme évoquent avec puissance, un monde sensuel, spontané, mais dont semble sourdre une insondable mélancolie. Toutes les autres voix -que ce soit celles de la Capella Reial de Catalunya, de l’ensemble Tembembe, ou des solistes, la soprano Adriana Fernandez ou de la Basse Ivan Garcia ou celle des récitants ou du griot-, toutes viennent enrichir ce son unique, celui de la vie sous toutes ses formes, du vent aux larmes, du rire à l’amour.

 

On tombe sous le charme de 3MA. Dans Vero, le chant captivant des instruments à cordes pincées et des voix de Driss El Maloumi et de ses deux compagnons, Ballaké Sissoko et Rajery, est un instant d’apaisement, qui semble arrêter le temps. Leur virtuosité limpide et leur merveilleuse complicité donnent ses lettres de noblesse à l’improvisation.

 

La direction de Jordi Savall faite d’empathie et de rigueur, lui permet de donner à ce programme d’une extrême densité toute sa noblesse et son élégance, cette force vive qui l’anime de bout en bout.

 

La prise de son, met en valeur les différents plans sonores tandis que le DVD merveilleusement réalisé par Karl More Productions, sous la direction de Benjamin Bleton, nous permet de revivre, par sa captation agréable et équilibrée, l’émotion musicale dans toute son impétuosité et tout son lyrisme tout à la fois tragique et si joyeux.

 

Cette nouvelle fresque du maestro catalan est à mettre entre toutes les mains, afin que la mémoire de cette tragédie et cette capacité des êtres humains à surpasser sa douleur, nous portent vers de nouveaux horizons, aussi généreux que la musique qui nous est offerte ici.

 

Vous trouverez ici le teaser de l'album : https://www.youtube.com/watch?v=ujKJe6l2cvA

 

Pour prolonger cette écoute, n'hésitez pas à écouter l'interview de Jordi Savall  en compagnie du chercheur anthropologue franco-sénégalais Tidiane N'Diaye sur Public Sénat

 

Récitant : Bakary Sangaré

Chant griote : Kassé Mady Diabaté

Basse : Ivan Garcia

Voix : Maria Juliana Linhares

3MA : Driss El Maloum, oud. Ballaké Sissoko, Kora. Rahery, valiha.

Tembembe ensamble contino

La Capella Reial de Catalunya. Musiciens d’Hespérion XXI, Direction, rabec, rebab, vielle : Jordi Savall

 

2 CD et 1 DVD ALIA VOX Durée du CD1 60’17 et du CD2 : 67’08. Durée DVD : 2h08’30’’ Livret : Catalan/Français/Anglais/Castillan/Allemand/Italien. Enregistrement réalisé à l’abbaye de Fontfroide, Narbonne, le 17 juillet 2015, en collaboration avec Karl More Productions. Producteur et réalisateur : Benjamin Bleton

 

Par Monique Parmentier

 

Crédit photographique : Hervé Pouyfourcat que je remercie de m'avoir autorisé à utiliser les superbes photos prisent lors du concert à l'abbaye de Fontfroide, dont certaines illustrent l'album d'Alia Vox. Merci pour toute reproduction de ces photos de lui demander son autorisation.

Lire la suite

La peste... Albert Camus toujours

24 Avril 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Poésie et Littérature

"Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette... foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse".
---- Albert Camus, "La Peste" (1947)

Lire la suite

Fernando Pessoa - Le Livre de l'intranquillité

14 Avril 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Poésie et Littérature

Rencontre poétique du jour, citation de la page Face Book, Littérature et Poésie:

« Et s'il se trouve que je parle à un être distant, et si, aujourd'hui nuage du possible, demain tu tombes, pluie du réel sur la terre --- n'oublie jamais que ta divinité, c'est d'être née de mon rêve. Sois toujours dans la vie ce qui peut être le rêve d'un solitaire, et non pas le refuge d'un amoureux. Fais ton devoir de simple calice. Accomplis ton mystère d'inutile amphore. Que personne ne puisse dire de toi ce que le fleuve peut dire de ses rives : qu'elles existent pour le borner. Plutôt ne jamais couler de sa vie entière, plutôt tarir, à force de rêver.
Que ta vocation soit d'être superflue, que ta vie soit ton art de la regarder, ton art aussi d'être la regardée, la jamais semblable. Ne sois jamais rien d'autre. »

Fernando Pessoa - Le Livre de l'intranquillité
Traduction de Françoise Laye

 

Photographie personnelle

Lire la suite

Noces à Tipassa

9 Avril 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Poésie et Littérature

Tandis que je travaille à ma chronique des Routes de l'esclavage me revient soudain en mémoire, à fleur de peau ce merveilleux texte d'Albert Camus :

"Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde."...

"La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais à chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous"

Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'accord vrai entre un homme et l'existence qu'il mène."

Puisse un jour l'humanité retrouver la paix dans cette sensualité infinie, de l'instant gorgé de lumière et du chant du monde.

Copyright photo : DR

Lire la suite