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Le blog de Susanna Huygens

Esprit des Balkans : un esprit farouchement libre

26 Octobre 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel-copie-15.jpgEsprit des Balkans Hespérion XXI - Jordi Savall -Alia Vox  

La différence est tellement belle que l'on ne devrait jamais se priver d'aller à sa rencontre.  Le CD Esprit des Balkans chez Alia Vox, sorti l'été dernier, en offre l'occasion. Il permet de découvrir des mondes d'une grande beauté, âpres parfois et pourtant si sereins pour qui prend le temps de s'autoriser à les écouter.

Ce nouveau programme de Jordi Savall, est tout à la fois, un hommage aux victimes du conflit serbo-croate qui a dévasté l'ancienne Yougoslavie lorsque celle - ci s'est disloquée et un dialogue entre les cultures qui forment le kaléidoscope des Balkans.

Dans la continuité des précédents programmes tous conçus aux côtés de Montserrat Figueras, celui - ci nous transmet, et met en relation également, les valeurs communes aux peuples de la Méditerranée. Mais il nous donne aussi l'occasion de découvrir ces peuples mystérieux, qui du Péloponèse à la Moldavie, ont aux fils des générations su partager un sens de l'hospitalité qui se fait si rare de nos jours.  

Jordi-Savall-viole_image-gauche.jpgComme à chaque fois, face à l'inconcevable brutalité on souhaiterait comprendre comment en moins de 10 années, sans tomber dans une analyse ou de son jugements stéréotypés, la Yougoslavie a pu détruire non seulement le patrimoine matériel de sa capitale Sarajevo, mais également, et plus encore, sacrifier plusieurs milliers de vies humaines sans qu'un  tel sacrifice ne paraisse à ceux qui le commettait une folie monstrueuse et absurde.

Jordi Savall et différents auteurs dans le superbe livret qui accompagne cet enregistrement, nous livrent des pistes passionnantes qu'il appartient à chacun de poursuivre, afin de mieux comprendre la complexité du monde qui nous entoure et de mieux en apprécier toutes les saveurs.

L'étymologie du mot Balkan, révèle le déchirement initial : Bal (le miel) et kan (le sang). Ce nom fût donné par les Ottomans à cette région lorsqu'ils s'y installèrent. "Ils découvrirent non seulement la richesse de la zone - ses fruits, la douceur de son miel- mais aussi combien ses habitants étaient courageux, belliqueux et rebelles, car ils luttèrent farouchement contre les envahisseurs". La connaissance que nous avons de l'histoire des Balkans en Europe Occidentale s'arrête bien trop souvent à une date traumatisante dont pendant tout le XXe siècle on nous a dit qu'elle fut à l'origine du premier conflit mondial. Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, l'héritier du trône d'Autriche - Hongrie est assassiné à Sarajevo par un nationaliste serbe. Depuis les Balkans passent pour une région instable sur laquelle il vaut mieux éviter toute tentative interventionniste. Ainsi l'Europe de l'Ouest observa de loin cette guerre qui foudroyait cette terre de passages, de rencontres, de brassages et de partages.

Cette "autre Europe" est merveilleusement évoquée ici par des musiques issues des différentes civilisations qui s'y sont croisées. Evocateur de ces autres mondes et de leurs modes de vie ce florilège musical dévoile l'harmonie et la modernité de ces univers sonores anciens et / ou traditionnels. Ils furent influencés par les empires byzantin puis ottoman qui tentèrent de les apprivoiser en un discours aussi chatoyant que les soies d'Orient, tandis que la diaspora sépharade qui avait trouvé refuge en ces mondes farouches y apporta sa nostalgie diaprée et chaleureuse.

  Musiques  anciennes, traditionnelles et populaires se croisent, s'écoutent, donnent à voir et entendre un arc en ciel d'expressivité. Et à la source de ces musiques, l'âme Rom (ou tsigane) insuffle un sentiment de liberté, de "naturalité" qui vous emporte sur des rythmes et un sens de l'improvisation d'une fascinante virtuosité.

 

tcha_limberger-e1367594680996.pngAvec les artistes qui se sont joints à Jordi Savall sur ce projet, vous découvrirez ainsi les lignes d'horizon de ces pays qui de la Bulgarie à la Serbie, de la Macédoine à la Turquie, de la Roumanie à la Bosnie et à la Grèce semblent autant d'étapes sur les routes des caravanes aux mille et un trésor. Vous suivrez les Roms sur ces chemins qu'ils ont empruntées et tous ces peuples qu'ils ont croisés. Tous nous disent, leurs craintes des pogroms toujours à venir. Vous entendrez des instruments rares comme la Lira grecque, le kaval, le gadulka, ou bien des instruments plus familiers comme l'accordéon. La spiritualité de la diversité balkane est celle d'un univers sans frontière, celui des routes, du souffle des vents qui viennent de loin, là où l'identité n'est pas affaire de papiers mais de curiosité et de fêtes

mazij-1.jpegLa complicité et le talent des musiciens nous éblouie tout autant par leur fine musicalité que par la poésie qui émane de leur interprétation et des instants partagés.

L'archet mélancolique du violoniste Tcha Limberger chante avec une virtuosité et une liberté follement tsigane dans "Doina, hora", dans Suites - "Dona, Purtat, Hora ka la kaval" et "Hora mare, Hora lui Dragoi". Les flûtes ductiles sont autant d'oiseaux qui expriment la joie de vivre et la nostalgie des temps heureux. Gadulka, cymbalum, kaval, percussions sont autant de couleurs qui font de chaque pièce une fable, une tragédie, une chanson ou une danse dont la séduction agît immédiatement. A l'Oud, le doigté si sensible et évocateur de Driss El Maloumi envoûte et fascine. Tous ces musiciens nous transmettent leur passion commune pour ce dialogue si improbable et pourtant si authentique.   

L’élégie final est à l’image de ce nouveau programme d’Hespérion XXI, le plus beau poème qui soit dédié à celle ou celui à jamais absent(e) et qui pourtant toujours nous accompagnera. Il sourde de cette élégie une telle émotion que l’on ne peut plus la quitter. Il nous semble à cet instant être aux côtés du maestro catalan ou bien face à l’un de ces paysages où l’horizon nous appelle de toute part. On peut toujours tenter d’expliquer une émotion, mais il arrive parfois que cela ne soit plus nécessaire et que s’y abandonner est peut-être cet acte compassionnel que nous recherchions, cette offrande musicale qui nous libère du poids du deuil.

En ambassadeur pour la paix Jordi Savall réussi une fois de plus à nous montrer que ce long travail de réconciliation grâce à la musique est possible. Que nous partageons tous des émotions communes que l'on peut retrouver dans ces liens  précieux tissés par l'histoire. 

Par Monique Parmentier

 1 CD Alia Vox - Enregistré à la Collégiale de Cardona (Catalogne) en octobre et décembre 2012 et en janvier et février 2013 par Manuel Mohino Livret multilingue dont français, anglais, Castillan, Catalan, Allemand, Italien, turc, serbe, roumain, magyar, croate....- Réf ALIA VOX AVSA 9898 - Code Barre 7 619986 398983

Droits photographiques : Jordi Savall © S. Pichene et DR pour Tcha Limberger et El Maloumii
 

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Les litanies de la Vierge : une élégante plénitude

12 Octobre 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

correspondancesLes Litanies de la Vierge - Marc-Antoine Charpentier (1643 - 1704)

Ensemble Correspondances - Sébastien Daucé

Harmonia Mundi

 

Voici donc le nouveau Cd de l'Ensemble Correspondances consacré à Marc - Antoine Charpentier. Après O Maria et l'Archange et le Lys chez ZZT, où déjà ils nous laissaient entendre leurs affinités électives avec le plus romain des compositeurs français, ils nous reviennent avec les Litanies de la Vierge H 83 et d'autres motets consacrés au culte marial chez Harmonia Mundi du même compositeur.

 

Tout comme Charpentier avant lui, Sébastien Daucé réuni autour de lui une troupe de fidèles amis partageant une connaissance du maître et une complicité interprétative, qui les libèrent de toute tentative démonstrative pour parvenir à nous faire ressentir un très grand sentiment d'aboutissement et de plénitude. Qualités déjà plus que perceptibles dans les deux précédents enregistrements. Une lumière tendre et sensuelle émane de ce nouvel opus. 

Marc-Antoine Charpentier entra au service de Marie de Guise, dernière descendante du Balafré, - le duc Henri Ier que fit assassiner Henri III -, à son retour d'Italie, au début des années 1670. De la rivalité encore vive, entre sa famille et celle des Bourbon, va naître chez Marie de Guise, une volonté d'affirmer son indépendance qui sera marquée par un mécénat artistique qui ne passa pas inaperçu en son temps. Marie de Guise a elle-même vécue toute sa jeunesse en Italie et est particulièrement attachée au culte marial, étant  née un 15 août. Ce culte connaît au XVIIe siècle un nouvel essor et Marc-Antoine Charpentier lui consacra de nombreuses antiennes, une dizaine de Magnificat, des Salve Regina, un Stabat Mater pour des religieuses et pas moins de neuf Litanies de la Vierge. Sa musique sût toujours s'adapter au lieu et au contexte, ainsi qu'aux moyens mis à sa disposition, affichant ainsi en toute circonstance sa singularité. La Litanie, comme son nom l'indique est une plainte douloureuse, celle de la Vierge au pied de la croix.  

 

Le dispositif requis à l'origine, parfaitement connu, est ici légèrement adapté, en tenant compte des reprises que connût l'œuvre du temps de Charpentier.   

 

A l'origine ces litanies sont prévues à six voix mixtes, dont trois parties de dessus, deux violes et basses continues. Sébastien Daucé nous propose une lecture qui prend en compte l'ensemble des instrumentistes de son ensemble, soit deux violons, deux flûtes et une basse continue comprenant deux basses d'archet. Pour la distribution vocale il estime que les six parties vocales ont pu en fait être interprétées par huit chanteurs. Au vu du résultat final on ne peut que souscrire à ses choix artistiques. 

On retrouve ici, tout ce qui fait le charme de l'ensemble Correspondances. Une palette vocale et instrumentale suave et céleste. L'incandescence du contrepoint y est si ardente que l'éloquence de la douleur nous atteint sans jamais se faire ostentatoire. On est séduit par le dialogue entre voix et instruments et une ornementation d'une très grande délicatesse. Une diction soignée accorde à la tragédie comme à la jubilation, un regard onirique. On ne peut que ressentir la ferveur qui animait musiciens et publics au XVIIe siècle. La beauté des timbres, pourtant si intense, est d'une humilité teintée d'une innocence qui transcende. La fulgurance se fait intime, elle porte les cœurs en peine à la consolation. Les voix sont ici si bien appariés qu'on se laisse surprendre par le sentiment de sérénité qui sourde des ensembles. Difficile de dire quel interprète nous touche le plus, tant ici règne un équilibre harmonieux. La direction de Sébastien Daucé favorise sans aucun doute l'écoute et le partage. 

 

On est séduit par cette rencontre, entre un compositeur et ses interprètes, qui nous montrent combien la fidélité et la loyauté ne peuvent que permettre de porter des projets à leur accomplissement. La noblesse et l'élégance de l'interprétation sont par ailleurs accompagnés par une excellente prise de son et un livret soigné. 

 

Par Monique Parmentier

 

1 CD Harmonia Mundi - Durée 60'33 - Enregistré en Janvier 2013 à Grenoble, au MC2 - Textes livret : Français, Anglais, Allemand - Ref HMC 902169 - Code Barre : 3 14020 216927

 

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Rome, la musique du silence

5 Octobre 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Divers

st-maria-sopra-minerva-filippino-lippi_1296976683.jpgCe qui me frappe alors que je séjourne à Rome pour la seconde fois et d'où je vous écris, c'est tout à la fois l'absence de la musique baroque - et ancienne de manière plus générale - et son étrange présence, comme un appel du silence. Des fresques médiévales de Filippino Lippi à la Chiesa Santa Maria Sopra della Minerva à l'Ange musicien du Caravage dans la fuite en Égypte à la Galeria Doria Pamphilj, la musique qui accompagnait ses artistes chante, se colorise, s'irise... J'ai passé une merveilleuse année où la musique du silence m'aura parfois accompagné. Quelques musiciens auront aussi comme les Incogniti, les Cris de Paris, Jordi Savall,... Claire Lefilliâtre... le temps d'un concert redonné vie à cet ineffable que je guette... 


N'avez-vous jamais eu l'impression de courir après quelque chose qui n'existe pas ? Quelque chose que vous ne pourriez même pas nommer ? Et puis tout à coup il ou elle est là (une fresque de Filippino Lippi, un tableau du Caravage, la lumière romaine, les couleurs de la Méditerranée vu du ciel ... )... Il ou elle est là et vous ne pouvez pas l'atteindre... Il ou elle vous bouleverse sans que l'émotion ressentie ne puisse vous libérer du poids du quotidien plus longtemps que cet instant fugace et si intense que tout le reste vous paraît vain

 

Farnesina-copie-1.jpgLe retour à la réalité parisienne ne rend que plus absurde ce qui peut nous attacher à vouloir partager une émotion musicale... Une émotion artistique... Comment décrire l'attente pour revoir ces fresques, entre-aperçues trop rapidement l'année dernière, puisqu'un mariage se déroulait dans l'église -, et l'instant où elles se dévoilent à vous. Aucune photo, aucun film, aucun mot... Aucune note non plus d'ailleurs. Juste un étrange silence qui vous atteint. Celui qui vous laisse imaginer cette musique qui devait se vouloir céleste. Celle que j'entends en regardant ces anges danser autour de la Vierge, n'a peut-être rien à voir avec celle qui a pu être jouée en ces lieux tandis que Filippino Lippi laissait courir ses pinceaux, transformait des couleurs en cette danse harmonieuse. Je me sens juste bouleversée par ce silence qui m'entoure et ... longtemps je suis restée là, me demandant pourquoi repartir, tant je me suis sentie si bien. Que d'un mur émane une lumière aussi vivante que celle qui illumine la Cité à l'extérieur me semble si merveilleux, que tout le reste ne m'en paraît que plus difficile à vivre... et pourtant... si la réponse était là, vivre des instants fugaces de grand bonheur, car ils sont les plus beaux.

 

Rome 2013 337Les guides vous diront ce que vous devez voir si le temps vous presse, mais à Rome justement le temps s'arrête pour vous. Plus rien ne vous presse. Et tandis que dans la rue, l'Italie semble répondre aux urgences du quotidien, vous êtes là, à la Farnesina, à vous dire que tous ces guides qui vous conseillent de ne voir la Farnesina qu'après de nombreuses autres villas ou palais, vous trompent. Comment quitter ce lieu magnifique, conçu pour le bonheur, baignant dans la lumière. Ne croyez pas que Baldassarre Peruzzi et tous les artistes qui ont participé à sa décoration et à sa construction, soient des artistes mineurs et que seul le Triomphe de Galatée par Raphaël mériterait votre regard. Et c'est pour cela peut-être que ce n'est pas la sublime Galatée que je choisis ici pour illustrer mon propos. Ne croyez pas que la musique en soit absente. L'harmonie du lieu rayonne mélodieusement et lorsque j'écris ces mots, l'émotion encore vive m'étreint à ce simple souvenir.  De belles dames vous invitent à vous laisser apaiser par la beauté. Agostino Chigi aimait l'art et en faisant construire ce lieu de plaisir, il nous a laissé bien plus qu'un objet de visite qu'il faudrait malgré tout avoir fait dans son parcours touristique... il nous a légué un refuge onirique et sensuel.Rome 2013 217

 

Refuge ! Voilà bien un mot que certains se croiront obliger d'interpréter aux yeux de la psychanalyse... Fausse science pour société de consommation qui n'existait pas à la Renaissance et à l'époque baroque. Le rêve prenait un autre sens. Et lorsque Caravage surgit, sa force, sa part d'ombres déchirantes et l'intensité de l'embrassement qui émane de ses œuvres, même de jeunesse, m'empoignent, m'emportent tout simplement dans des ailleurs, où le confort n'existe pas et où le refuge est une illusoire vérité atemporelle.

Rome possède sa part de violence, de peur, où au chômage et à la misère d'aujourd'hui dans laquelle sombre l'avenir d'une jeunesse sans illusion,  répondent les bûchers, les guerres et les épidémies d'hier. Les artistes disposaient à l'époque de riches mécènes et si les trésors des palais n'étaient pas accessibles aux plus pauvres, la beauté si foisonnante dans les églises, devaient étancher bien des soifs. Et tous ceux qui n'avaient parfois rien à manger et une espérance de vie qui ne faisait que souligner l'urgence à prendre ce que la vie vous donne, certaines images devaient apporter ces instants de fulgurance qui transcendent.

Rome 2013 507La musique de l'Ange musicien, Philippe Beaussant en parle si bien, dans Passages, De la Renaissance au Baroque. A chaque fois que je le croise, à Versailles ou Sablé, j'aime l'enthousiasme de ce si jeune académicien. Ce dernier tableau du peintre avant son passage dans l'ombre et que j'ai pu voir l'année dernière et cette année à la Galeria Doria Pamphilj est bien plus qu'un objet, aussi beau soit-il.

 

Dans ce Palais empoussiéré et gris à l'extérieur, la splendeur vous attend, une splendeur désormais  si proche de sa disparition, qu'elle me fait songer à la fin du Guépard de Lampedusa. Mais par tous les moyens qui leurs sont offert les Pamphilj tentent encore, sans rien céder, de préserver ces trésors qui leur appartiennent depuis leur origine. Il s'agit probablement de l'une des plus remarquables collections privée de peinture, et pas seulement, rendue accessible à tous.

Avant d'atteindre le Repos durant la fuite en Egypte et son ange musicien et leur douce voisine, une Madeleine pénitente du même maître, vous traverserez des salles dont les fresques, les décors, les toiles et les sculptures sont des ornements d'une humanité en quête de l'harmonie. Toutes ces œuvres vous invitent dans un univers unique de beauté. Presque tous les grands noms de l'histoire de l'art  y sont représentés. Vous y croiserez des italiens, flamands, français et bien évidemment des antiques. Tiziano et sa redoutable Salomé, Le Tintoret, Jan Brueghel l'ancien, Le Lorrain et sa fuite en Egypte, Dughet, Parmigiano et sa si douce Madone, Quentin Metsys, Vélasquez et tant d'autres, sont là, vous interpellant, vous arrêtant.
Rome 2013 509Puis vous descendez quelques marches. Vous aimeriez prêter plus d'attention aux toiles du grand Titien. Mais celles qui vous attirent vous happent littéralement sont là, juste devant vous. Et malgré dans votre dos le regard de Salomé qui ne vous quitte pas, vous ne voyez plus, vous n'entendez plus que la musique du Caravage. Assez curieusement, la copie d'une autre toile du Caravage a été placée là. Il s'agit d'un Jean-Baptiste. Mais pas besoin d'être un expert pour tout de suite voir qu'il ne s'agit que d'une copie (l'original est au Capitolin). Trois fois rien, sauf que l'on ne peut que se dire que jamais Caravage n'aurait commis un corps aussi peu... "vrai".
Rome 2013 307De ce repos, Philippe Beaussant écrit "C'est - comment dire  ?- non pas un passage, mais précisément comme si le Caravage avait inconsciemment bien sûr, pressenti la justesse du sujet qu'il allait peindre : une halte, un temps d'arrêt, un repos avant la fuite."... je suis tentée d'écrire un "refuge".... c'est son "dernier tableau heureux" et sa musique est celle des anges. Elle est là, on l'entend, on la voit, elle est palpable. Elle n'appartient qu'à nous, à celle ou celui qui veut l'entendre. Elle n'est pas unique, elle n'est pas forcément celle du temps du Caravage. Car au fond, le temps du Caravage n'est-il pas l'éternité ?
Et comme l'année derniè
re, je tourne autour, je m'installe sur des sièges prévus juste en face pour s'arrêter, ...se reposer... je repars dans la dernière salle, celle des primitifs... puis je reviens. J'écoute ces deux toiles... j'écoute aussi quelques commentaires de touristes comme égarés et effrayés devant ce que leur on a dit être un chef-d'œuvre... mais qu'ils préfèrent voir comme joli. Peu de monde, on passe devant le Caravage comme devant la Joconde,. Mais lui, on semble le craindre. "N'a-t-il pas tué ?""Tu es sûr " ? "Il me semble", "pourtant à le regarder on le croirait pas". Rome 2013 542Qui ou que regardent-ils ces touristes pressés que seule l'unique pluie de mon séjour a toutefois rendue plus nombreux en ces lieux que l'année dernière. J'entre dans la toile, je poursuis cette musique qui me mène loin des amitiés illusoires, de la course effrénée de mon quotidien. Je suis en paix, je suis tourmentée. Quelque chose me dit que ceci ne répond pas aux questions qui m'assaillent tout en me consolant.

Je repars, laissant derrière moi, cette musique du silence. Il ne me reste alors que quelques heures à passer dans Rome. Je sais déjà que je reviendrais. Mais avant de quitter ce palais, j'entends ces deux musiciens sensés faire revivre la musique du Caravage se disputer, ... à l'italienne, dans la salle du Trône pour une histoire somme toute bien banale. Ils me voient, je leur sourie... ils rient. Dehors la pluie s'est arrêtée, le soleil revient et je m'en retourne dire au-revoir à Rome dans les jardins de la Villa Borghese. Demain du ciel, la Méditerranée et ses couleurs, cette terre "bleue comme une orange", me bouleversera une dernière fois... Oui, je le sais déjà, je reviendrais. Car "Roma, è la città più bella del mondo". La lumière y surgit de l'ombre, elle est l'ombre et me fait songer à ce dernier poème de Robert Desnos :
 

J'ai rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
dans ta vie ensoleillée.
 

 

Par Monique Parmentier

 

PS : J’allais oublier, mon passage au Panthéon, promis à Amandine. Car c’est bien la musique de Corelli qui m’aura accompagnée tout au long de mon séjour romain. le Memento Mori des Cris de Paris au Palazzo Spada... aura éclairé cette perspective surprenante de Borromini.

  

Droits photographiques : Monique Parmentier (Merci de n'utiliser ces photos qu'après m'en avoir fait la demande)

    Rome-2013-366.JPG 

 


 

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