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Le blog de Susanna Huygens

chroniques concerts

Amandine Beyer et Gli Incogniti sur France 5 pour un instant de joie absolue

4 Octobre 2022 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ DR

Je ne pensais pas revenir si tôt sur mon blog pour évoquer un instant de bonheur musical. Certaines blessures mettent du temps à s'effacer... Mais comme à chaque fois, c'est un rayon de soleil si italianisant... Mon rayon de soleil en musique ancienne, Amandine Beyer et son ensemble Gli Incogniti qui me rendent possible ces quelques mots. 

Alors ne les manquez pas sur France 5, avec ce concert enregistré à Ambronay. "Vivaldi, concertos fantastiques"... Tout ici est à fleur de peau... Du trait de violon aux pincements des cordes du théorbe, de la sensualité des pupitres de flutes et hautbois à la splendeur rayonnante des cors et des percussions... Oui, je m'arrêterais là... Je vais continuer à les écouter et les réécouter. Sachant qu'enfin, ce que je croyais impossible avant encore plusieurs mois, c'est produit... La musique m'a rendu follement heureuse. Elle virevolte, avec les rayons du soleil de l'été indien. Grazie mille Amandine... Grazie mille à chaque musicien.

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Fontfroide 2021 : les chants d’indicible lumière

13 Août 2021 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

« Il y a une voix qui n'utilise pas les mots.
Écoute ! » Rumi

On s’était quitté en 2019, n’imaginant pas un seul instant que 2020 ne permettrait pas aux musiciens et au public de se retrouver à Fontfroide un an plus tard. Nous avions déjà tous pris rendez-vous.

Nous n’avions pas imaginé un seul instant, qu’une rupture se ferait, brisant le temps qui passe et nos rêves d’harmonie.

 

@ Alia vox

Alors malgré les doutes, l’anxiété à prendre des TGV sur de longs trajets, il n’était pas question de manquer le rendez-vous de cette année.

Comme pour mieux conjurer le sort, pour ce XVe festival Musique et Histoire, le thème retenu Temps de résilience et de joie, ne pouvait que nous motiver à vaincre nos craintes.

Je dois l’avouer au vu de l’actualité, et pas seulement sanitaire, la résilience m’a toujours semblée impossible à imaginer, extrêmement lointaine mais pas la joie, cette joie qui m’a aidé à tenir, même lorsque malheureusement à la fin du festival sont venus se confirmer mes craintes d’un test me rappelant à la réalité.

@ Monique Parmentier

J’ai dès le début eu le sentiment que j’aborderais ce festival comme une promenade musicale et c’est non seulement mon état de santé mais également les programmes offerts qui font qu’aujourd’hui au fil de la plume, je vous invite à me suivre dans ma passeggiata estivale. Je suis arrivée à Fontfroide, comme l’on s’endort, en rêvant d’un monde meilleur.

Ma première joie aura été de retrouver Narbonne et ma chambre avec vue au Zénitude hôtel. Après deux ans, à bord d’un bateau ivre, retrouver mon port d’attache, ne pouvait que m’apporter cette sérénité qui m’avait tant manquée. Me promener dans les rues, aller aux Halles retrouver des amies et cette ambiance si conviviale, ce sentiment si doux d’être à la maison, font de chaque séjour au pays du sourire, un moment tant attendu.

@ Monique Parmentier

Tout cela participe à ce voyage… Aller au Festival de Fontfroide, c’est aussi cela, simplement retrouver ce sentiment de plénitude dans les gestes du quotidien et dans l’horizon qui s’ouvre.

Evidemment pas de retrouvailles, d’effusions entre musiciens dans le hall de l’hôtel Zénitude à Narbonne. Pas de répétitions ouvertes non plus et malheureusement pas de concert à l’extérieur en raison d’un vent puissant et frais. Et si les cigales, par leur chant du bonheur, ce seront peu manifestées cette année, la joie de retrouver Fontfroide est indicible. Retrouver les équipes de Karl More productions a été un vrai plaisir. Benjamin Bleton qui suit régulièrement Jordi Savall et nous a offert tant de magnifiques productions, nous permettra donc de revoir via un film réalisé pour Arte, certains extraits des concerts (ceux du soir et deux duos de l’après-midi, Hirundo Maris et le concert de Shahab Azinmehr et Mostafa Taleb).

@ Monique Parmentier

Si je n’ai pas pu assister au concert inaugural donné le 13 juillet par Orpheus XXI, le premier concert du 15 juillet, nous a permis de retrouver, le duo formé par Shahab Azinmehr (chant et tar) et Mostafa Taleb (kamânche). S’ils sont des réfugiés bénéficiant du cadre offert par la structure Orpheus XXI, ce sont aussi et avant tout, comme tous les musiciens réunis pour former cet ensemble, des virtuoses confirmés, des passeurs de rêves et de poésie. Les mélodies profondes et mystérieuses qu’ils interprètent nous invitent à un voyage en une Perse mythique dont le chant et les instruments nous ouvrent un livre de beauté, fait de couleurs irréelles et d’entrelacs invitant à la contemplation de la lumière qui irradie de la garrigue environnante, au-delà des grilles du réfectoire. Les musiciens déploient toute la richesse du Tasnif, chant mesuré iranien, répertoire modal qui a été transmis oralement pendant des siècles mais qui a quasiment disparu après la révolution iranienne. La complexité de ces musiques s’efface pour l’auditeur qui se laisse simplement envoûté par cette calligraphie musicale d’ailleurs que le vent emporte bien au-delà des collines de Fontfroide, telle une myriade de grains de sables, vers un horizon infini.

@ Monique Parmentier

Le concert du soir, nous a permis de retrouver Jordi Savall, fondateur et directeur artistique du festival, en compagnie des musiciens d’Hespérion XXI et des chanteurs de la Capella Reial de Catalunya. Le programme pour ce premier concert est d’abord un hommage à Montserrat Figueras, co-fondatrice du festival. Choisit non seulement pour sa rareté en concert, mais aussi pour toute la charge symbolique qui l’accompagne. Le Codex Las Huelgas, est une œuvre de femme, composée et chantée à l’origine par des femmes. Du nom du monastère cistercien, dédié aux femmes, ce Codex est composé de pièces à usage unique des nonnes. Elles sont certes représentatives de l’Ars antiqua mais portent en elles les ferments de l’Ars Nova. Elles furent composées entre la fin du XIIe siècle et le XIIIe siècle. Le manuscrit est encore conservé de nos jours dans le monastère pour lequel il a été élaboré. Si au Moyen Age, seules des femmes interprétaient ces chants, désormais les ensembles de musique ancienne, comme la Capella Reial de Catalunya viennent enrichir les chœurs par des voix d’hommes. Les femmes compositeurs de musique durant cette période ont parfois laissé leur nom dans l’histoire, comme Hildegard von Bingen ou María Alonso González de Agüero, devenant le symbole de la création, de la culture musicale d’une époque ou d’une région. A la source de ces œuvres, les influences sont multiples et la poésie y tient une place essentielle. Les différentes origines de la culture de l’Espagne médiévale tant juive pour les formes du chant et grecque pour la technique musicale, sont passées par le filtre d’Al Andalus et le Codex, texte marial par excellence inspiré par le Cantique des cantiques, est une invitation à un voyage spirituel, au cœur même de l’âme. Les nonnes de Las Huelgas trouvent leur place dans un monde misogyne, et nous lègue une œuvre exceptionnelle, mélange de sensualité et de rigueur, où philosophie et mystique, nous portent et nous ouvre à la sensibilité d’un monde contemplatif.

@ Monique Parmentier

Jordi Savall a sélectionné les pièces pour constituer un programme relevant toute la splendeur orientale et mystique de la symbolique de la Vierge et du bestiaire du christ. Le résultat en est onirique. La plénitude des timbres et la souplesse des voix ainsi que l’accompagnement des instruments, nous transportent dans un monde de sérénité stellaire. La splendeur des cieux illumine le chœur de l’abbaye et le cœur de chacun. Lorsque nous quittons l’abbaye, un étrange sentiment nous étreint. Le vent qui souffle sur la garrigue, semble porter le chant, le murmure constellé de l’univers.

C’est dans la continuité de ce concert, que s’inscrit notre rendez-vous du lendemain avec Arianna Savall et Petter Udland Johansen, entre Ballades et légendes d’autrefois. Deux voix merveilleuses qui nous emportent dans des univers ou chaque pièce chantée, est une parenthèse transcendante, un joyau unique. La ballade est d’abord un genre poétique et musical né aux confins d’un âge où les premiers voyageurs poètes/musiciens, parcouraient les routes d’un moyen-âge faisant danser, chanter seigneurs et paysans. Sur des routes mystérieuses et fantasmagoriques, où les rencontres les plus fabuleuses, à la limite du surnaturel étaient possibles, les troubadours faisait rayonner l’amour courtois et les légendes d’un monde où régnait l’harmonie des âmes et des cœurs. Devenu avec le temps, un genre populaire, la ballade est aujourd’hui portée par la chanson et le folk anglo-saxon en est la quintessence. Un rythme lent, hypnotisant, des textes souvent dramatiques à la thématique amoureuse, on a tous en tête des chansons de Bob Dylan.

@ Monique Parmentier

Ce genre ancien et aristocratique est ici servi par deux interprètes dont la virtuosité se fait oublier pour redevenir un art de l’émotion à fleur de peau. Arianna Savall s’accompagnant à la harpe (médiévale et baroque pour ce concert) et Petter Udland Johansen qui jouent d’une grande variété d’instruments (vièle, hardingfele, violon, cistre et mandoline), ont des timbres qui s’apparient avec suavité et délicatesse. Claires et féériques, leurs voix s’unissent en une harmonie d’un onirisme si intimement chimérique et envoûtant. Véritable invitation au voyage dans le temps et l’espace, ce programme de ballades anciennes s’est écoulé si vite que même encore aujourd’hui, la nostalgie de ces instants uniques, m’accompagne.

@ Monique Parmentier

Le programme Folias & Romanescas que nous ont offert Jordi Savall et ses compagnons, Rolf Lislevand, Andrew Lawrence-King, Xavier Puertas et Pedro Estevan, le soir, n’est certes pas une création, mais à chaque fois, une redécouverte, car avec le temps et la maturité, les couleurs en changent. Introduisant le concert, Jordi Savall, nous l’a présenté comme étant en ces temps si difficiles, celui des retrouvailles avec des amis, ceux qui l’accompagnent depuis tant d’années, mais aussi avec le public fidèle du Festival. Et ce concert est peut-être bien celui qui au-delà de la joie, a été si passagèrement celui de la résilience… brève, dense et fulgurante.

Le propre de toutes ces musiques est l’ivresse de la danse. Celles-ci sont nées et se sont développées dans la péninsule ibérique vers la fin du moyen-âge. Et ce lien d’amitié entre les musiciens permet de valoriser cet immense talent qui les caractérise les uns et les autres pour cette improvisation que demandent les pièces interprétées, tout comme cet art de l’ornementation qui leur permet de nous faire entrer dans une farandole tournoyante, enivrante et jubilatoire.

@ Monique Parmentier

Le lendemain après-midi, nous nous sommes laissé surprendre, par un concert qui de prime abord semblait beaucoup plus présenter un intérêt ethnographique que purement musical ou d’émotions. Ces dernières sont nées avant tout de l’enthousiasme et de la joie de vivre des musiciens iraniens qui se sont présentés à nous. Leur répertoire en voie de disparition, porte la marque de l’héritage culturel africain en Iran. Saeid Shanbehzadeh, est l’un derniers représentants des traditions populaires du Golfe persique. Accompagné par son fils Naghi Shanbehzadeh, mais aussi son petit-fils qui au son d’un cor a lancé le concert. Ils nous font partager, une autre manière de jouer, de partager la musique. Encourageant le public à battre des mains au rythme des percussions, dansant, se déhanchant sur scène tout en jouant d’une cornemuse, suggérant des rites anciens, et avec la complicité si innocente du plus jeune de ses enfants au fond du réfectoire, les musiciens ont recréé les conditions d’exécution propre à ces musiques, soulevant l’enthousiasme du public.

@ Monique Parmentier

Comment ne pas être impatients et heureux à l’idée de retrouver l’incomparable Monteverdi pour l’avant dernière soirée à l’abbaye. Comment ne pas songer à Montserrat Figueras qui dans les madrigaux proposés nous a laissés des souvenirs si intenses et fervents. Mais ce soir dans la distribution retenue par Jordi Savall, pour les Madrigali Guerrieri et amorosi nous n’avons pas boudé notre bonheur. Dans le Combattimento di Tancredi e Clorinda Furio Zanasi, est un merveilleux récitant, à la noble projection, à la théâtralité sur le fil ténu d’une émotion vibrante, incantatoire, au beau timbre d’airain tandis que María Cristina Kiehr est une Clorinde tragique et lumineuse et que Lluís Vilamajó campe Tancrède avec conviction. Dans le Lamento de la Nympha Monica Piccinini est d’une merveilleuse délicatesse, à l’éloquence enchanteresse.

@ Monique Parmentier

Le « madrigal absolu » comme l’appelait Philippe Beaussant, Hor che’l Ciel et la terra est certainement le point d’orgue de ce concert. Cet instant sublime, hors du temps est incomparablement servi par l’ensemble de la distribution. Les musiciens d’Hespérion XXI apportent au chant des couleurs dramatiques et figuratives de toute beauté. La direction inspirée de Jordi Savall est celle d’un maître qui depuis longtemps est devenu le compagnon et l’ami de Monteverdi qui l’a accompagné depuis de nombreuses années. En quittant l’abbaye sous le ciel étoilé, nous revient en mémoire, cet instant d’éternité, celui d’une dissonance unique et attendu qui fait vibrer les âmes et les cordes de l’infini. Vivre ce moment unique sous le ciel de Fontfroide fut bien celui qu’en montant à l’abbaye nous avions tant attendu.

@ Monique Parmentier

Le concert de l’après-midi initialement prévu pour cette dernière journée, a dû être annulé, en partie en raison de la situation sanitaire, et a été remplacé par un duo de violon d’autant plus exceptionnel, qu’il est rare de pouvoir entendre ses interprètes en dehors des formations d’ensemble et dieu sait pourtant s’ils sont d’exceptionnels violonistes. Manfredo Kraemer, Guadalupe del Moral, nous ont ouverts la route d’un voyage dans le temps et l’espace, pour violons nomades. Le programme qu’ils ont choisi de nous faire découvrir, est en soi un petit bijou, où l’on retrouve certes quelques compositeurs connus comme François Couperin, Jean-Marie Leclair ou Béla Bartók, mais aussi des pièces plus rares et non moins exceptionnelles nous provenant d’Amérique du Sud et que nous découvrons grâce à nos musiciens qui semblent partager avec un grand plaisir toutes ces petites madeleines gourmandes en les interprétant avec brio. Manfredo Kraemer prend la parole pour nous les présenter avec humour et tendresse. Le satané moustique de Bartók fait son effet sous les archets et doigts légers des interprètes et les tangos d’Osvaldo & Emilio Fresedo et de Luis A. Fernández dansent en un subtil feu de passion et de feu. Le trait d’archet puissant et aiguisé de Manfredo Kraemer s’allie à celui plus souple et sensuel de Guadalupe del Moral. Ce concert si singulier, si riche a fait le plaisir de tous les amateurs de ces concerts entre amis qui se rejoignent chaque année à Fontfroide, témoignage des salons de l’Europe musicale.

@ Monique Parmentier

Trait d’union parfait pour le dernier concert donné par Jordi Savall et Hespérion XXI, celui des Goûts réunis. Programme souvent donné de par le monde, témoignage du foisonnement de la création musicale en Europe durant un siècle et demi, aboutissant à la création de l’orchestre moderne.

De l’époque de Louis XIII et des 24 violons du Roi et ses pièces anonymes rassemblées par Philidor l’Aîné à la musique chatoyante du Roi soleil, que l’on doit à Jean-Baptiste Lully, encore pour un temps ami de l’autre Jean-Baptiste, pour la création de la Comédie-ballet, le Bourgeois Gentilhomme, en passant par l’Autriche et la cour de Salzbourg avec Heinrich Ignaz Franz Biber et sa Battalia a 10 pleine de vigueur et d’inventivité, mélange de rudesse et de raffinement, puis passant à la naissance du concerto, avec le Concerto IV en ré majeur, op.6, n°4, et au miroitement des archets de Corelli, véritable splendeur des Lumières, à la virtuosité incomparable, et avant de conclure par l’Espagne et La Musica Notturna di Madrid de Luigi Boccherini à l’aube d’un romantisme faite d’agilité et de contrastes, Jordi Savall nous propose d’entendre le Concerto IX in Seven Parts en Ut majeur de Charles Avison, digne représentant d’une Angleterre, passée de la musique si mélancolique des consorts pour viole à celle d’un orchestre si influencé par l’Italie radieuse de Domenico Scarlatti et de Corelli. Un programme d’une richesse incomparable, servi par la virtuosité de l’ensemble des musiciens d’Hespérion XXI, qui s’en donnent à cœur joie. Leur plaisir et leur complicité évidente, sous la direction bienveillante et si vivifiante de Jordi Savall, nous a permis de conclure le festival dans une joie si fragile, mais raffermi par ce bonheur d’avoir un temps été réuni pour célébrer le dialogue des âmes.

@ Monique Parmentier

Un grand merci à l’abbaye de Fontfroide et à la famille d’Andoque/Fayet et tout particulièrement à Laure de Chevron Villette, de nous avoir reçu comme à chaque fois, comme des Petits Princes, et de nous avoir permis de recevoir chacun, la plus belle des roses… une rose éternelle, à la beauté intemporelle, celle qui n’existe que par la musique, langage universel, permettant ce dialogue des différences, devenu si précieux. Merci aux bénévoles pour leur accueil toujours aussi chaleureux. Bravissimi aux musiciens et bien évidemment à Jordi Savall, que l’âge ne semble pas atteindre de ses ravages. La dernière soirée s’est achevée par une petite fête donnée en son honneur par l’ensemble des organisateurs et des musiciens. Nous avons repris la route, sous la nuit étoilée, l’espoir au cœur, ayant reçu la musique comme le plus beau des dons, celui qui dans ce voyage chaotique révèle l’invisible à nos regards condamnés à être trop rationnels, la poésie du monde.

Par Monique Parmentier

« La musique « n’est qu’un conte, un souffle qui passe » Roudaki (859-941)

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Fontfroide 2021... ma ligne d'horizon

18 Juin 2021 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

Rose des Elysiques - Narbonne

Oser y croire, se dire que même s'il va falloir pour cela affronter la peur déjà existante, mais amplifiée par la pandémie, de la foule, des plus de 7 h de voyage en taxi puis en train, l'horizon se dégage. Le festival aura bien lieu et j'espère bien pouvoir m'y rendre.

Retrouver les collines de Fontfroide, le parfum de la garrigue, le vent et ses voix qui murmurent... Les musiciens qui nous ont tant manqué... Jordi Savall nous présente le programme du festival Musique & histoire dans cette vidéo

Alors en attendant, soyez prudents, vaccinez - vous... (je vous assure, s'il y a bien sur ces deux ans une chose avec laquelle je n'ai pas eu de vrais soucis, c'est bien ce vaccin, que j'ai vécu comme une libération. Pas de 5 G sous la peau et dieu sait si dans ma campagne elle pourrait m'être utile pour télétravailler et contrairement à ce que j'ai pu lire, je ne me suis pas transformée en tomate OGM et je ne suis pas aimantée) et nous pourrons tous vivre de merveilleux instants dans ce sud que j'aime tant. Parce que la vie est belle, parce que nous sommes tous un peu responsable des uns et des autres et que s'il y a bien une chose que nous transmets la musique, c'est l'empathie...

Par Monique Parmentier

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XIVe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel : "Rosa" Metamorphosis... rose du soir

22 Août 2019 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

« Si la musique est la nourriture de l’amour, jouez ». La Nuit des Rois – Shakespeare.

 Chaque année, en arrivant à Fontfroide, l’on se demande si au vu des souvenirs que nous ont laissé les années précédentes, nous parviendrons à retrouver des instants aussi ineffables que ceux que nous avons pu y connaître les années précédentes. Mais chaque année est différente et chaque année, lorsque vient le moment de repartir, le sentiment d’irréalité des moments vécus renaît dans toute sa fantasmagorie.

Les concerts du soir du XIVe Festival Musique et Histoire, pour un Dialogue Interculturel de cette année, sur le thème de la Métamorphose, me laissent sur ce sentiment mystérieux d’une parenthèse dans le temps, comme si Fontfroide était une cité perdue et les musiciens ses esprits libres. A Fontfroide, chantent à jamais les voix du vent.

Les concerts du soir, ce sont cette année essentiellement tenus à l’intérieur, dans l’abbaye ou au réfectoire, la seule exception ayant été le tout premier concert, celui d’Orpheus XXI, qui nous a été donné à la belle étoile, dans la Cour Louis XIV.

 

@ Monique Parmentier

Moslem Rahal et Mostafa Taleb qui ont inauguré les concerts de l’après-midi ont rejoint leurs compagnons d’Orpheus XXI pour ce concert, sous-titré les « Voix lointaines ». Si l’année dernière cet ensemble créé en 2016 par Jordi Savall pour permettre à des musiciens réfugiés ou immigrés en Europe de relever « le défi de leur installation » au cœur d’une société européenne en proie à la peur et au rejet, était venu en grand effectif, cette année il n’était que 8. Car désormais, sous différentes formations, l’ensemble tourne avec des programmes d’une grande diversité, avec ou sans le maestro catalan, afin de mieux faire connaître le répertoire de chacun. Ici les maîtres, Waed Bouhassoun et Moslem Rahal et les musiciens qui ont rejoint ce projet humaniste avec un talent déjà bien réel à leur arrivée – Rusan Filiztek, Neset Kutas, Georgi Dimitrov, Mojtaba Fasihi, Hovhannes Karakhanyan et Mostafa Taleb, partagent avec le public, au clair de Lune, des moments intenses de beauté et d’ouverture à l’autre. La métamorphose qu’opère la musique sur chacun permet de sublimer et unir les dissemblances, offrant à tous de se rejoindre pour bâtir un monde plus juste et plus ouvert.

Le charme du répertoire retenu, opère dès les premiers instants, lorsque s’élève la voix chaude et grave de Waed Bouhassoun, les hommes reprenant tour à tour, les paroles d’un chant traditionnel iranien, Ze Dast Mahbboub. Musiques syrienne, iranienne, kurde, sépharade qu’interprètent musiciens et chanteurs disent, à la lumière de la Voie Lactée, ce chemin de sable qu’est la vie humaine et son parcours de joies et de peines. Leur complicité, les regards échangés, l’équilibre parfait qui règne dans l’ensemble ici réuni, montrent de la plus belle façon le travail accompli.

@ Monique Parmentier

Ici le plaisir est si évident que le public est totalement subjugué, envoûté par ces mélodies d’ailleurs. Jordi Savall ne s’est joint aux musiciens d’Orpheus XXI que le temps d’un bis, applaudissant autant que le public la maturité d’un ensemble qui lui permet désormais de voler de ses propres ailes vers des horizons lointains où un public en quête de sens et de compréhension, trouvera à leur côté la paix et la joie. Ce soir, alors que la nuit avait recouvert la garrigue aux parfums d’été, j’ai partagé durant mon retour vers Narbonne, un échange bouleversant, avec deux jeunes migrants, invités par les équipes de Jordi Savall. Tous deux, jeunes réfugiés politiques, ayant fui la guerre dans leur pays respectif, contenaient difficilement leurs émotions. Pour eux, entendre ces voix et ces instruments si chers à leur cœur, chanter ces mots qui leur content leur histoire et qui leurs rendent leurs racines, aura été un instant magique et de liberté retrouvée. Ce répertoire qui parle souvent d’amour fou et mystique, destinés à faire perdre ses repères à l’auditeur, aura permis à ces jeunes hommes, ce soir de les retrouver. Rarement, j’aurais eu le sentiment à la fin d’un concert, de partager quelque chose d’aussi douloureusement beau.

 

@ Monique Parmentier

Ce n’est donc que lors de la seconde soirée, que nous avons retrouvé Jordi Savall, Hespérion XXI et La Capella Reial de Catalunya, pour la création d’un tout nouveau programme, intitulé Leonard de Vinci. Il a été conçu par le Maestro dans le cadre des commémorations des 500 ans de la disparition de ce grand maître de la Renaissance. La personnalité de ce génie, dont nombreux sont ceux qui le considèrent comme un des plus grands de l’humanité, ne pouvait que fasciner Jordi Savall et lui permettre de nous transmettre à travers cette nouvelle fresque ce message qui est le sien depuis Tous les matins du monde, un message humaniste d’ouverture et de curiosité, de quête de la beauté et de la connaissance avec pour lien la musique.

Léonard de Vinci était lui-même musicien. Tout laisse à penser qu’il était même un excellent interprète de la lira da braccio. Il existe d’ailleurs une gravure datant de 1505 réalisée par Raimondi Marcantonio, actuellement au Musée de Cleveland, dont de nombreux experts estiment qu’elle le représente en Orphée poète musicien charmant les animaux. Et ce n’est probablement pas une coïncidence, car c’est le maître florentin qui mis en scène, la toute première fable en musique, dont l’auteur était Ange Politien, La Fabula di Orpheo.

@ Musée de Cleveland

Pour illustrer musicalement le parcours de vie exceptionnel de Léonard de Vinci-et évoquer le thème sous-jacent de la métamorphose, si cher à la Renaissance-, Jordi Savall a lui choisit des œuvres de compositeurs ayant vécu entre la seconde moitié du XVe siècle et le début du XVIe. Il a parfaitement pu en rencontrer certains (l’un des portraits d’homme qu’il a réalisé serait celui de Josquin des Prez (vers 1450 - 1521)), au cours de ces périples de la cour des Médicis à Florence à celle des Sforza à Milan, de Mantoue à Venise, puis Rome, jusqu’à son arrivée en France, à la cour de François Ier où il finit sa vie. Les œuvres que nous entendons ici, appartiennent à son univers. C’est non seulement la musique du temps de Léonard de Vinci que nous a proposé le maestro Catalan, la musique dans les mondes connus à l’époque, mais plus encore celles qui accompagnent si bien, le fil linéaire de sa quête de l’homme « omnicient », du parfait humaniste. Et si certains ont pu regretter l’absence d’un récitant pour marquer et illustrer les différentes étapes chronologiques de sa vie et de son environnement, les extraits musicaux retenus nous dessinaient parfaitement cette ligne, ce chemin avec ses couleurs et ses nuances.

@ Monique Parmentier

De 1452 à 1519, la quête des correspondances musicales avec l’univers si incertain et en pleine mutation de la Renaissance, nous mène sur les chemins où l’art vocal et instrumental se cherchent des voies nouvelles. C’est une époque où l’influence de Pétrarque, insuffle à ses poètes et musiciens, mais aussi peintres et sculpteurs, une quête de la beauté héritée de l’antiquité.

Certaines pièces ont déjà pu être entendues dans d’autres grandes fresques de Jordi Savall, dont bien évidemment la pavane de Tielman Susato, la Battaglia, une œuvre d’un compositeur anversois du XVIe siècle qui illustre fréquemment les grandes scènes de bataille dans les programmes de Jordi Savall et interprétée avec toujours autant de brillance et d’énergie par les Sacqueboutiers. Nous l’entendons ici pour immortaliser l’instant où Léonard de Vinci commence à peindre la bataille d’Anghiari, la fresque mythique inachevée et à jamais perdue du maître. D’autres pièces musicales sont plus rares et toutes interviennent tout aussi parfaitement dans le cadre linéaire de l’histoire. Les œuvres d’Heinrich Isaac (vers 1450 – 1517), pour la plupart figurant dans le splendide CD enregistré en fin 2016, dont l’humanisme, est à l’image des nombreux artistes qui ont marqué cette époque, ou bien la chanson aux accents si nostalgiques (en version instrumentale) « Tous biens plaines » de Hayne van Ghizeghem (vers 1445 – vers 1497), dont le succès à la fin du XVIe siècle généra de nombreux arrangements, qui apparaît dès lors comme le miroir de la gravure du Musée de Cleveland. 

@ Monique Parmentier

Ainsi de Heinrich Isaac à Josquin des Prez, des chansons anonymes aux motets, des marches accompagnant les faits de guerre aux lamentations, la vie de Léonard de Vie reprend ici sa densité, sa magnificence, ses doutes, ses craintes, ses luttes âpres entre tous ces génies qui croisent sa route. La musique fait de lui, ce poète mythique qui fait remonter les fleuves à leur source, celui qui par son art peut faire fléchir les lois de la nature. Les musiciens et chanteurs, tel Léonard de Vinci, semblent reproduire la respiration profonde et intime de la nature. Jordi Savall et les musiciens et chanteurs qui l’accompagnent métamorphosent le réel en une vibration, une palpitation qui donne vie au sfumato qui a recouvert cette soirée d’une sensation envoutante d’intemporalité.

@ Musée du Louvre

En véritables démiurges, ils redonnent un cœur qui bat, à celui qui fut non seulement un peintre mais également un ingénieur, un chercheur, un metteur en scène, un être humain de chair et sang, un homme en quête de l’homme universel, celui qui englobe la connaissance, qui est la connaissance au-delà de la raison pure. Il est l’homme qui doute pour mieux approcher la vérité. Rarement sur un parcours de vie, autant de grands noms de l’histoire de l’art, de la littérature, de la poésie, se seront croisés. Jamais autant de chefs d’états n’auront recherchés avec autant de force de persuasion un artiste aux multiples facettes. Qui était vraiment Léonard de Vinci ? D’où tenait-il ce charme aussi insondable et qui nous fascine encore cinq siècles après sa disparition et que l’on retrouve dans certains de ces tableaux comme la Vierge au rocher ou son Jean-Baptiste ? Il est un de ces artistes et la musique nous le rappelle ici, qui nous questionne sans cesse par cet intriguant sourire, non celui de la Joconde mais bien de cet ange (Uriel, celui qui porte la lumière de la connaissance des origines) ou de son Jean-Baptiste. Qui en cette belle soirée n’a pas été pas tenté de demander comme Salaï au maître : « mais que nous montre-t-il maître » ?

@ Musée du Louvre

La viole si incandescente de Jordi Savall, sa direction si élégante et bienveillante, les voix si radieuses et chatoyantes de la Capella Reial de Catalunya, - la beauté céleste du timbre du contre-ténor Gabriel Díaz et de la soprano Monica Piccini, et si ténébreux de la Mezzo Viva Biancaluna Biffi, si resplendissant des ténors Victor Sordo et Lluis Vilamajó et si sombre et puissant du baryton Furio Zanasi et de la Basse Daniele Carnovich-, nous conduisent sur des sentiers dont exhalent des parfums envoûtants et captivants.

La splendeur des instrumentistes d’Hespérion XXI, contribue également à faire de ce chemin de vie exceptionnel, un témoignage de l’humain, de la beauté, d’une époque qui remets en question des certitudes si rassurantes. Les couleurs étincelantes, opulentes des percussions de Pedro Estevan et des Sacqueboutiers, - Jean-Pierre Canihac, Béatrice Delpierre, Daniel Lassalle auxquels s’ajoute à la Doulciane Josep Borràs -, si secrètes et mélancoliques des violes de Philippe Pierlot, Juan Manuel Quintana et Lorenz Duftschmid et de la Harpe d’Andrew Lawrence – King, si étranges et fascinantes des flûtes de Pierre Hamon et du santur de Dimitri Psonis, si profondes de l’orgue de Luca Guglielmi et si vives de la vihuela et de la guitare de Enrike Solinís-, font de cet hommage au maître incontesté de la Renaissance un instant vibrant d’une mystérieuse intensité.

La vie de Léonard de Vinci fut une métamorphose constante, à l’image de l’homme, tout comme d’ailleurs, le personnage dont la musique devait occuper le second concert de Jordi Savall.

 

@ Monique Parmentier

John Dowland, Lachrimae or seaven teares, probablement le concert du soir que j’attendais avec le plus de ferveur, tant ce programme que Jordi Savall a enregistré, il y a quelques années, est probablement un de ceux qui me touche le plus. Une pure merveille qui représente à mes yeux la quintessence du répertoire pour consort de viole et luth.  Les pavanes, gaillardes et autres allemandes y dansent jusqu’à l’ivresse sacrée. Si les larmes sont souvent mélancoliques, elles peuvent aussi laisser sourdre la ferveur sensuelle de la danse, l’émotion du temps qui file. L’on se laisse envoûter par la suavité sonore qui émane du consort de viole. Le temps se laisse arrêter et les larmes du luth deviennent nôtres.

@ Monique Parmentier

Nul artiste, mieux que Jordi Savall ne parvient à donner une telle plénitude à ce répertoire unique, partageant tout à la fois l’introspection, la contemplation de la splendeur des clairs / obscurs, mais également des instants d’une clarté foudroyante ou la vitalité d’une danse qui ne demande qu’à nous emporter. Ici les larmes sont tout autant des larmes de joie ou de plaisir que des larmes de tristesse. C’est Dowland lui-même qui écrivait dans sa préface « … bien que le titre soit prometteur de larmes, conviées indésirables en ces temps réjouis, nul doute cependant que ne plaisent celles versées par la Musique, et que larmes ne naissent toujours dans la peine, mais parfois dans la joie et le bonheur".

 

@ Musée des Offices - Florence

Le maestro catalan est ici accompagné de musiciens / amis avec lesquels il partage cette vision si intense, si expressive, si troublante de la poésie de « l’Anglorum Orpheus ». Et tout d’abord Rolf Lislevand, si rare en France, le seigneur du Luth, qui malgré un poignet tout juste remis d’une fracture, fait scintiller la lumière de la pénombre enchantée de ce répertoire. Philippe Pierlot, Sergi Casademunt, Juan Manuel Quintana et Lorenz Duftschmid, apportent à la beauté de ces polyphonies cette atmosphère envoûtante ineffable. Ici tout est équilibre, poésie, nous offrant un climat parfois profondément tourmenté et pourtant traversé de lumière et de couleurs qui se jouent des âmes mélancoliques.  Semper Dowlend, semper dolens trouve auprès de Jordi Savall et de ses compagnons, des interprètes dont la virtuosité est d’un lyrisme fascinant. Je ne sais que rajouter, tant, il ne me reste pour souvenir certain de cette soirée que le sentiment d’une solitude apaisée et apaisante nimbée d’une lumière astrale. Jordi Savall poète magicien, nous a offert par ce concert, cette métamorphose à laquelle nous aspirons secrètement, celle que seule la musique a le pouvoir de nous offrir, faire de chacun de nous un flambeau de l’infini.

 

@ Monique Parmentier

Qui mieux que Dowland pouvait nous conduire vers la rose mystique, celle qui illumine le Stabat Mater, programme de la quatrième soirée.

Nul besoin d’être chrétien ou croyant pour succomber à la beauté du Stabat Mater quel qu’il soit. Probablement parce que ce cri pathétique de la vierge au pied de la croix est tout à la fois tragique, déchirant et troublant. Mais c’est aussi un chant de louange adressée à une mère, à la mère de toutes les mères. Ce chant a traversé les siècles et les mouvements musicaux en se renouvelant sans cesse. C’est une œuvre majeure au cœur d’une contre-réforme qui veut séduire avant tout. Apparue au Moyen-Âge, il signifie en latin « celle qui se tenait debout », en référence à la Vierge Marie au pied de la Croix. Nombreux sont donc les compositeurs qui s’y sont essayés. Et tous, nous ont laissé des œuvres d’une somptuosité transcendante. Jordi Savall pour ce quatrième concert en a retenu trois, celui de Marc-Antoine Charpentier, le Stabat Mater pour religieuses H. 15, celui d’Arvö Part et celui de Domenico Scarlatti à 10 voix, intercalant des interludes instrumentaux dont une composition lui appartenant en hommage au grand Caravage, Lachrimae Caravagio, rajoutant en bis le si bouleversant Da pacem domine du compositeur estonien.

@ Monique Parmentier

La rencontre de Jordi Savall avec la musique de Charpentier n’est pas récente, puisqu’il l’a enregistré dès 1989 après l’avoir découverte en bibliothèque. Et à chaque fois, qu’il l’a propose au public, les émotions qu’elle lui a inspiré, retrouvent cette ferveur des origines. La musique du plus italien des grands maîtres de la musique française du Grand Siècle trouve ici des interprètes au service d’une intensité expressive bouleversante. Tout comme d’ailleurs dans les deux autres Stabat Mater proposés ce soir.

Si celui de Scarlatti nous paraît presque plus austère, celui d’Arvö Part semble surgir du néant, une musique du silence qui irradie pour nous mener vers une grâce sereine et ineffable.

@ Monique Parmentier

Le chœur réuni par Jordi Savall est tout simplement d’une magnifique clarté, faisant preuve d’un bel équilibre entre les différentes parties. Les dissonances supplicatoires y sont si poignantes que l’universalité de cette souffrance en devient évidente. Mais l’intériorité du drame qui se joue n’en est pas moins relevée. La texture des voix, la fragilité qui en émane, les couleurs si chaudes de la basse continue, révèlent la sensualité, la tendresse, la lumière de ces œuvres de toute beauté. L’interprétation du Stabat Mater d’Arvö Part en a été quasi hypnotique, tout comme le Lachrimae Caravagio et le Da Pacem Domine final. Le caractère méditatif de ces œuvres nous éblouit.

Jordi Savall et l’ensemble des chanteurs : Arianna Savall, Monica Piccini, Lucia Martín-Cartón, sopranos ; Kristin Mulders, mezzosoprano, Gabriel Díaz, David Sagastume, contreténors ; Victor Sordo, Petter Udland Johansen, ténors ; Furio Zanasi, baryton et Mauro Borgioni, basse- et musiciens : Laszlo Paulik, violon ; Eva Psvanecz, alto ; Balázs Máté, violoncelle, Lorenz Duftschmid, viole de gambe basse ; Josep Maria Martí, théorbe, Luca Guglielmi, orgue ; Xavier Pueras, contrebasse -, nous ont offert un moment de transcendance dont les arabesques musicales, sont les larmes de la rose mystique.

 

@ Monique Parmentier

Le dernier concert a été un moment d’enchantement absolu. Clôturant sur une note festive ce festival si unique, aux notes quasi « surnaturelles », « Les jardins poétiques de William Shakespeare », intitulé du programme proposé, nous ont permis d’entendre les musiques qui ont illustrées sur scène les pièces du dramaturge anglais et qui furent compilées de manière exhaustive par Schumann dans son Dichtergarten für Musik (Jardin des poètes pour la musique).

Fascinante conclusion musicale ou Jordi Savall fait sienne la citation du Temps dans le Conte d’Hiver : « Je retourne mon sablier et j’accélère la marche de la scène ; comme si vous aviez fait un long somme ».

Magicien, il l’est comme Prospéro entouré de ses elfes et fées, le Concert des Nations et les deux comédiens/récitants invités, Marcel Bozonnet et Margaux Chatelier.

@ Monique Parmentier

La musique a depuis le Moyen-Âge occupée une place centrale sur la scène théâtrale anglaise et l’on trouve dans l’œuvre de Shakespeare plusieurs milliers de références à la musique. Et si la majeure partie des pièces musicales destinées à accompagner ses pièces est perdue, celles de Robert Johnson composées spécialement pour le Masque d’Oberon et The Winter’s Tale sont parvenues jusqu’à nous, permettant à Jordi Savall de nous les proposer ce soir. Lors des reprises des pièces du poète anglais après sa disparition, la tradition étant bien établie, d’autres compositeurs, comme Robert Locke et Purcell, vinrent enrichir ce corpus musical que nous avons retrouvé en cette si nostalgique et pourtant si joyeuse soirée.

« Si la musique est la nourriture de l’amour, jouez » (La nuit des rois) … et malgré une acoustique un peu plus difficile que les autres soirs, les musiciens et comédiens ont joué avec leur cœur et ce petit brin de déraison, la fantasmagorie shakespearienne. Tant et si bien que l’abbaye a semblé disparaître pour laisser place à la nuit étoilée, et nous permettre de succomber aux charmes de Titania et de ses fées.

 

@ Monique Parmentier

Ici l’on retrouve toutes les formes musicales, qui ont accompagné dès l’origine ces pièces de théâtre, dont les titres résonnent encore aujourd’hui comme autant de mondes imaginaires drôles ou tragiques, mais extraordinaires auprès du public. L’on y retrouve des ballades populaires, des chansons de tavernes, des airs traditionnels ou encore des chansons et des danses en vogue à la cour et dans les cercles cultivés. L’on sait peu de choses sur les ensembles instrumentaux qui à l’origine étaient présents sur scène, les didascalies étant rares et brèves, mais un certain nombre de facteurs permettent de les deviner. Entre divers instruments et sonneries utilisées sur les champs de batailles et consorts mixtes pour les scènes de bal ou publiques et réjouissances, le champ des possibles est riche.

@ Monique Parmentier

C’est donc entouré d’un Concert des Nations opulent et charmeur, - Manfredo Kraemer, premier violon ; David Plantier, second violon ; Marc Hantaï et Yi-Fen Chen, flûtes traversières ; Alessandro Pique et Emiliano Rodolfi, hautbois ; Josep Borràs, basson ; Santi Aubert, Guadalupe del Moral, Kathleen Leidig, Mauro Lopes, Isabel Serrano, violons ; Giovanni de Rosa et Lola Fernández, altos ; Balázs Máté, Antoine Ladrette, Annabelle Luis, violoncelles, Xavier Puerta, contrebasse ;  Josep Maria Martí, théorbe et guitare ; Luca Guglielmi, clavecin et Pedro Estevan, percussions-, que le Maestro catalan, nous a emporté dans la danse du Songe de cette nuit d’été, qui devaient nous ramener au quotidien dans l’ivresse d’une musique céleste.

Les deux comédiens, Marcel Bozonnet et Margaux Chatelier ont fait scintiller les extraits de La Tempête et du Songe d’une nuit d’été, avec une gourmandise communicative.

Le plaisir du maestro et de ses musiciens si volubiles, m’a fait regretter que nul n’ose danser en compagnie des fées qui pourtant semblaient nous tendre les mains à chaque note. Tel Orphée, le maestro et les musiciens ont une dernière fois, fait chanter la musique des sphères. Ils ont suspendu le temps, autour d’une scène devenue magique, nous permettant encore de nous échapper, sauvegardant l’illusion, encore un court instant.

Voici donc venu le temps cher lecteur, de remercier plus que jamais Jordi Savall, les musiciens et les équipes techniques et administratives qui leurs permettent de nous enchanter, Laure d’Andoque de Sériège et Antoine Fayet de nous recevoir à l’Abbaye de Fontfroide, les bénévoles/Amis de l’Abbaye de nous accueillir avec tant de gentillesse, l’Hôtel Zénitude qui chaque année nous héberge avec toujours avec autant de professionnalisme que de courtoisie, mais aussi toutes celles et ceux que je pourrais oublier sans volonté de le faire, je vous l’assure. Comme Puck, je vous demande votre indulgence pour ces deux textes, qui ne pourront jamais retranscrire la beauté, l’harmonie qui m’ont grâce aux talents de tous ces artistes rassemblés, permis de retrouver l’âme des Elysiques et sa rose au parfum envoûtant. Mille e mille volte grazie.

 

Par Monique Parmentier

« Mos vers an – qu’aissi l’enverse,… ». « Puisse aller ton poème. Je l’inverse en sorte que ni bois ni tertres ne le retiennent là où se sent le givre et le froid au pouvoir tranchant. Que la poésie et la mélodie aillent vers ma dame  - Raimbaut d’Orange (vers 1140-1173)

@ Monique Parmentier

 

 

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XIVe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel… "Rosa" Métamorphosis

15 Août 2019 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

« Ar resplan la flors enversa » - Raimbaut d’Orange (vers 1140-1173)

Pas plus que l’année dernière, vous ne trouverez ici un compte rendu « critique » de ce festival unique, qu’est le festival Musique et Histoire qui s’est déroulé à Fontfroide en juillet dernier. Unique il l’est tant par la personnalité de celui qui l’a créé, Jordi Savall, que par son caractère puisqu’il associe à la musique ancienne, des répertoires ouvrant au dialogue interculturel aussi bien entre musiciens qu’entre ces derniers et le public. A taille humaine, il ne dispose pas des lourds dispositifs et moyens dont bénéficient certains de ses voisins. Il conserve cet esprit à l’origine de la Re-Naissance de la musique ancienne en France et en Europe. Ici, musiciens et public retrouvent une « famille ».

Tout comme Puck, je solliciterais donc votre indulgence pour ces chroniques qui je l’espère me permettront de partager avec vous, cher ami lecteur, tous ces instants de poésie, de beauté, de générosité, qui pendant cinq belles journées et soirées, ont apaisé et enrichi nos âmes, au cœur de la garrigue, dans une abbaye cistercienne qui est parvenue jusqu’à nous, quasi intacte, grâce à une famille d’Andoque de Sériège / Fayet qui depuis plus d’un siècle s’est investie dans sa conservation.

@ Monique Parmentier

J’aimerai vous faire percevoir cette joie qui s’empare de moi, dès l’instant où la majorité des musiciens et des équipes techniques, arrivent au Zénitude Hôtel à Narbonne, transportant des instruments dont je sais déjà qu’ils vont enchanter des moments rares et précieux.

Il faut aussi, avoir connu une fois dans sa vie, l’allégresse qui s’empare de vous lorsque l’on descend de voiture en arrivant à l’abbaye de Fontfroide, pour subitement bénéficier de ce concert du bonheur qu’offre les cigales. Et alors que durant un long hiver, l’instant d’éternité que nous avait offert le 13ième Festival Musique et Histoire de Fontfroide l’année dernière, semblait à jamais s’éloigner, devant le portail de l’abbaye cistercienne l’allégresse s’empare de nous, comme si l’on n’avait jamais quitté cet endroit quasi paradisiaque. Il a cette faculté qu’ont de rares endroits dans le monde de nous envelopper dans un univers de sérénité, d’apaisement, nous permettant de retrouver en toute liberté et plaisir, les passeurs d’enchantements que sont les musiciens.

@ Monique Parmentier

Le XIVe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel, qui s’est tenu du 15 au 19 juillet nous a invité sur le thème des Métamorphoses, à un voyage initiatique le long des chemins d’une quête intérieure, à l’écoute de nos « voix lointaines » pour mieux s’ouvrir à l’autre, à la différence, de la singularité à l’altérité, au partage des plus belles valeurs humaines.

Le programme n’évoquant pas les raisons du choix du thème par Jordi Savall et Edgar Morin n’ayant pu assurer les conférences qui étaient prévues pour nous en dévoiler les différentes interprétations possibles, il a appartenu à chacun d’entre nous de vivre ce moment, où la chrysalide devient papillon, où le bouton de fleur devient rose, où la nymphe devient arbre, où les mélanges subtils, âcres ou suaves, deviennent parfums, où le chant de la nature devient musique.

Au pays des troubadours, c’est la rose des Elysiques -et ses mille et une nuances poétiques- qui a été mon guide et mon amie et qui a métamorphosé le réel jusqu’à l’effacer, emportant la musique dans ses volutes parfumées et son chant « de lumière aux ailes frémissantes »1.

Les 5 concerts de l’après-midi, - dont deux furent donnés dans le réfectoire, celui des duos formés par Guillermo Pérez et Pierre Hamon et le Duo Tartini et les trois autres dans les Jardins en Terrasse -, furent donc consacrés à cinq splendides duos qui nous ont donné une luxuriante palette de couleurs, de nuances, de lyrisme, d’évasion sur des chemins lointains et oniriques.

@ Monique Parmentier

Le premier d’entre eux, dont nous ne disposons pas du programme, a été celui réunissant deux fascinants musiciens, Moslem Rahal (Ney) et Mostafa Taleb (kamânche), tous deux membres de la troupe d’Orpheus XXI que nous avons retrouvés le soir même pour le concert inaugural du soir sur lequel je reviendrais dans un second article. Mais si nous ignorons tous des pièces données, jusqu’à leurs titres, les instruments nous disent leur répertoire, celui des bardes d’Orient, de la poésie soufie, de l’éveilleur d’âmes Djalâl ad-Dîn Rûmî, de la danse parfaite, celle des Derviches Tourneurs, celle de la vibration créatrice initiale.

Le ney est une flûte à embouchure de roseau dont les premières formes, plusieurs fois millénaires, remonteraient à l’empire de Sumer et à l’Egypte antique, tandis que le kamânche (ou vièle à pique) d’origine iranienne est un instrument à cordes frottées qui remonte à des temps forts anciens. L’un et l’autre peuvent tout aussi bien être utilisés en solo qu’en ensemble. Mais le kamânche est avant tout l’instrument des conteurs. Tous deux instruments de la musique dite « savante », le ney emporte dans son souffle la danse mystique des derviches et nos âmes vers l’ivresse de l’instant.

Si nous connaissons déjà le talent de Moslem Rahal celui de Mostafa Taleb a été une belle découverte. Ensemble ou en solo, les deux interprètes, sous les feuillages miroitant des jardins en terrasse, nous ont dessiné des instants raffinés et subtiles, où leur virtuosité a permis à leurs instruments de chanter toutes les nuances de l’âme. Pouvait-on rêver musiciens plus inspirés pour ouvrir le festival et nous permettre de larguer les amarres qui nous reliaient au monde contemporain.

@ Monique Parmentier

Le second duo des après-midis, intitulé Zarambeques, réunissait deux musiciens dont les instruments sont de la même famille : Andrew Lawrence King à la harpe baroque et Ballaké Sissoko à la kora qui est la harpe mandingue.

Le musicien malien est un habitué des métissages entre l’Afrique et l’Occident, non seulement dans ses collaborations avec Jordi Savall ou dans le cadre de 3MA, mais également avec d’autres instruments à cordes occidentaux, dont le violoncelle. La harpe baroque d’Andrew Lawrence King a très souvent participé aux grandes fresques des rencontres proposées par Jordi Savall et à des projets de rencontres « improbables » entre univers musicaux très dissemblables.

Dans un répertoire entre baroque espagnol et traditions africaines, ils nous ont tous deux offert un métissage surprenant, où les alliages instrumentaux permettent des nuances de jeu espiègles et élégantes, fluides et lancinantes, oniriques et fantasmagoriques. Sous le titre Zarambeques, aux consonances étranges et exotiques se cachent en fait les titres d’un livre pour harpe espagnol Lus y norte qu’Andrew Lawrence King a déjà enregistré et partagé avec d’autres musiciens. Il offre de nombreux exemples de chaconnes et l’on sait que cette dernière a probablement suivi les routes de l’esclavage. En réunissant la harpe africaine, la kora à la harpe baroque, toutes deux instruments de haut lignage, nos deux virtuoses se sont abandonnés au plaisir de partager une rencontre interculturelle, à l’image d’un festival ouvrant des voies paraissant incertaines qui se révèlent à chaque fois riches et passionnantes.

Le vent et les cigales sont venus parfois solliciter non seulement l’énergie des musiciens mais aussi s’amuser avec eux. Mais ces derniers sont parvenus à faire d’une nature si facétieuse, une alliée à l’humour d’un bis, une chaconne fantaisiste accompagnée d’un texte, dit par nos deux musiciens, pas très féministe et dans l’esprit très XVIIe d’une société où la ménagère était souvent une mégère.

@ Monique Parmentier

Les chansons de la Renaissance entendue la veille au soir dans le programme Léonard de Vinci, sur lequel je reviendrai très prochainement, sont les héritières du monde des troubadours. Et c’est ce répertoire des troubadours que le duo de ce troisième concert de l’après-midi, celui réunissant Guillermo Pérez à l’organetto et Pierre Hamon aux flûtes, nous a proposé. Un univers où la rose est un rêve, un songe allégorique.

Ce concert avait décidé de mettre en valeur l’organetto que l’on trouve dans la peinture médiévale. Il y accompagne le chant des anges aussi bien chez Jan Van Eyck dans l’Agneau Mystique que sur de nombreuses fresques, enluminures et retables de la Flandre à l’Italie. C’est un petit orgue portatif médiéval dont la seule main droite joue sur le clavier, la main gauche elle actionne le soufflet présent sur l’instrument. Le timbre très particulier de cet instrument emprunte tout aussi bien à l’orgue qu’aux flûtes et c’est donc tout naturellement que le duo constitué pour ce concert fonctionne. La fusion sonore est d’une plénitude de toute beauté. La combinaison et l’alternance des timbres fait chatoyer le répertoire de l’amour courtois, qu’il soit terrestre ou divin. Il transcende cet univers dont certains des théoriciens de l’époque parlaient de « fleurs » en évoquant l’art vocal des troubadours, en hommage à la ballade éponyme de Guillaume de Machaut. Mais il nous évoque également certaines tapisseries recouvertes de tapis de fleurs et habitées par des animaux mythique ou exotiques.

Et les deux musiciens, dès les deux premières pièces à l’organetto et tout au long de ce concert si coloré, aux lumières si féériques, nous révèlent ce répertoire précieux qui nous renvoie par son pouvoir envoûtant à la délicatesse, à l’harmonie, à l’essence même de la musique et d’un monde où se croisait licornes et chevaliers, belles dames et anges musiciens. Le livre qui s’ouvre devant nous est un jardin extraordinaire qu’il appartient à chacun de nous de déchiffrer, « un vergier d’amour », où les roses deviennent la quintessence du jardin des délices. « Ni vous sans moi, ni moi sans vous », le Lai du Chèvrefeuille, interprété par Pierre Hamon, à la flûte et au tambourin, en remontant le Réfectoire de l’abbaye, nous emporte dans l’univers des troubadours, hommes et femmes, qui furent des passeurs de songes, comme aujourd’hui Guillermo Pérez et Pierre Hamon. Ici tout est nimbé, auréolé d’une lumière tendre. Le son moëlleux de l’organetto nous livre un peu de la tendresse du chant des anges, tandis que la diversité des flûtes théâtralise, ces scènes d’amour courtois ou divin, nuancent leur poésie de joie ou de peine.

@ Monique Parmentier

Le quatrième concert de l’après-midi s’est plu à nous faire remonter le temps et nous faire découvrir la naissance du duo pour violon et violoncelle, au milieu du XVIIIe siècle, alors que la basse continue est peu à peu abandonnée, d’où le titre du concert : « Continuo, Addio ! » Le duo Tartini qui s’est présenté à nous est composé du violoniste David Plantier et de la violoncelliste Annabelle Luis.

Cette musique est une de celle qui me touche le moins en temps normal car elle est celle d’une période de transition, la période classique, qui tout aussi bien dans sa grande histoire, que dans sa littérature et donc dans sa musique, a des caractères qui me semblent souvent ou trop ou pas assez marqués. Et pourtant à l’issue du concert, grâce aux deux artistes, j’ai eu le sentiment d’avoir passé un moment idyllique. La poésie des pages proposées a été interprétée avec tout à la fois tempérament, passion, intelligence, souplesse et lyrisme.

David Plantier et Annabelle Luis nous ont proposé des pièces de Giuseppe Tartini, et de ses disciples Pietro Nardini et du français Pierre Lahoussaye, mais également de Giovanni Benedetto Platti, Francesco Antonio Bonporti. En dehors de Tartini, force est de reconnaître que la postérité n’a pas été généreuse vis-à-vis de ces compositeurs et il fallait tout le talent de deux musiciens accomplis pour parvenir à nous en faire apprécier la grâce, l’éloquence des Lumières devenant si expressive mais toujours élégante, sous leurs traits brillants. David Plantier et d’Annabelle Luis dialoguent avec une belle complicité et ils relèvent le défi de nous révéler la somptuosité des œuvres proposées avec les mêmes qualités interprétatives, phrasés fluides et lyriques, nuances délicates, virtuosité d’un jeu harmonieux et chaleureux. Un équilibre parfait au service d’une musique qui n’attend que de tels interprètes pour retrouver la place qu’elle mérite auprès du public.

@ Monique Parmentier

C’est avec celle et celui que les voix du vent appelaient depuis le premier jour, que s’est achevée cette série de concert de l’après-midi : Arianna et Ferran Savall.

Ce concert était très attendus de tous les publics qui se pressent à Fontfroide en fin de journée, aussi bien les amoureux des répertoires classiques, que ceux qui aiment les répertoires de musique du monde. Et nul ne fut déçu. Ces « autres voix », intitulé du concert, celles qui murmurent pour consoler la Rosa enflorece, ne pouvaient être que celles du vent et de la lumière.

Si Ferran a dès le début été à l’aise avec le choix des Jardins en Terrasse de Fontfroide pour ce concert, le chant et la guitare n’ayant pas de réelles difficultés à se laisser porter par les éléments -et en particulier le vent extrêmement violent qui faisait siffler et hurler les feuillages-, jouer de la harpe dans de telles conditions fut loin d’être une évidence pour Arianna. Mais son talent, son énergie et une attention de tous les instants pour résister d’abord puis s’abandonner ensuite, lui aura permis de nous laisser percevoir combien la harpe est l’instrument de l’harmonie, le préféré des dieux de la lumière et du vent dans de nombreuses traditions ancestrales. Un instrument tout à la fois céleste et porteur du souffle de l’infini, celui qui ouvre les portes de « l’autre monde ».

@ Monique Parmentier

Et comme dans la tradition celtique, secrète et fantasque, elle s’est jouée du vent, l'a séduit, puis dompté, au-point de donner le sentiment d’être un court instant, la virtuose d’une harpe éolienne la plus mélodieuse qui soit. La polyphonie de sa harpe, à la finesse sonore cristalline et aux phrases musicales si fantasmagoriques, a métamorphosé le temps, en devenant le miroir jusqu’au vertige, de l’incommensurable beauté qui émane de la nature, permettant à la lumière progressivement de parvenir à l’instant d’éternité qui miroitait derrière les feuillages. Cette harpe (ces harpes) aura (ont) été (ées), le talisman mystique des voix d’Arianna et de son frère, devenu les messagers de l’infini.

Sur des improvisations vocales toujours aussi fascinantes de Ferran ou des musiques composées par Arianna Savall, une pièce d’Hildegard von Bingen ou des mélodies populaires gaélique ou catalane, ce concert fut un enchantement de tous les instants. La complicité si belle du frère et de la sœur, la supplique tendrement ferme d’Arianna pour obtenir cette extraordinaire improvisation de son frère sur la musique de Kapsberger, ces sourires partagés, cette virtuosité charismatique ont créé une atmosphère d’harmonie et de joie que l’on a pu ressentir, à fleur de peau, au cœur même du public.

@ Monique Parmentier

Cette rose des élysiques qui tout au long des cinq journées du festival avait fleuri, dans cette cour isolée du temps à Narbonne, a ici révélé la quintessence de son parfum, lorsqu’à la fin du bis La Rosa enflorece – un chant sépharade si souvent interprété par leur mère, Montserrat Figueras -, les feuillages ont laissé passer une ligne de poussières d’étoiles jusqu’aux deux interprètes. Le temps a suspendu son vol, la nature a reconnu les siens, lui rendant ainsi le plus bel hommage. La lumière a dessiné ces mots de lumière qui leur étaient destinés, et l’offrande musicale est devenue un instant de partage et de générosité transcendant. Un très grand merci à eux de nous avoir permis de percevoir, la poésie des mondes invisibles au regard, celle qui nous manque tant dans un quotidien de bruit et de fureur.

 

« Là est la rose dans laquelle le verbe divin se fit chair, là que se trouve dans le cœur d’or de la Rose éternelle, celle qui accueille les âmes de la félicité céleste » - Dante

Par Monique Parmentier

1 Leopold Sedar Sengor

 

@ Monique Parmentier

 

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Jordi Savall, Fontfroide 2018 : De l’ombre à la lumière… Je goûte en « vous écoutant », ma part d’éternité

10 Août 2018 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

Il y a bien longtemps maintenant, j’ai fait la promesse à Montserat Figueras de n’écrire que sur le fil de l’émotion, ne laisser ma plume se guider que sur ce qui fait l’essence même de la musique, de l’art et ne jamais devenir une critique comme une autre. Lorsque j’ai eu le sentiment de ne plus pouvoir pour un temps tenir ma promesse, je me suis éloignée et j’ai tenu une autre promesse que je lui avais faite, je suis venue trouver refuge à Fontfroide. Et tout comme Pandora quittant la terre ferme pour rejoindre le Hollandais volant dans le film d’Albert Lewin, j’ai ainsi pu briser le sablier, retrouvant cette « famille », ces amis perdus sur le long chemin du temps. Et avec eux, c’est toute l’empathie d’un monde que je croyais perdu qui m’attendait en ce lieu si unique. Pouvait-on me faire de plus beaux cadeaux que ces deux promesses qu’elle me demanda de lui faire ? La réponse m’a encore été apportée cette année… plus que des cadeaux, ces promesses furent un don, un don à l’incommensurable beauté.

@ Monique Parmentier

Le XIIIe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel a comme chaque année, proposé à son public durant les cinq soirées des variations de toute beauté de ce dialogue entre les âmes que défend jusqu’à l’Unesco, Jordi Savall. La musique sous les nuits étoilées, au cœur d’une garrigue chantante et parfumée, s’empare de l’écoulement du temps et nous emmène sur des routes de lumière, parsemées de larmes et de senteurs, de poésie à la spiritualité universelle.

Le premier concert du soir, exceptionnel par sa durée et plus encore par son exigence et son engagement artistique, a donc été programmé en deux parties. L’Officium Hebdomadae Sanctae composé par Tomas Luis de Victoria en 1585 est d’abord le choix de celle dont le rayonnement aujourd’hui accompagne Jordi Savall sur les voies du temps. Maria E. Bartels, a conçu ce programme à ces côtés et a sélectionné les textes qui illustrent ce chemin si aride et ardent qui mène l’esprit de la vie à la mort ou de la mort à la vie. Et leur choix, relève de la poésie pure qui nous atteint au plus profond de nous. Impossible de tous les citer, mais il nous semble en les écoutant, voir surgir des souvenirs qui nous ouvrent les portes de la sérénité : « L’esprit ne périt jamais […] Il ne nait pas et ne meurt pas. Comme il était, il restera toujours, car il est éternel. Hors de tout ce qui est passé et tout ce qui est à venir. Il ne meurt pas quand le corps meurt ». Bhagava Gita. Parmi tous ces textes on trouve des citations de Platon, Rainer Maria Rilke, Saint Jean de la Croix et bien d’autres. Ils sont au service de la musique et prennent et donnent sens à l’élévation musicale. La mise en relief de ces textes appartenant au comédien Frédéric Borie, le récitant de ce programme. Si par moment, sa manière de déclamer semble sur la retenue, cela n’en marque que mieux l’épure, le « sublime » des citations sélectionnées ici. Le comédien s’efface pour laisser place aux mots, au sens, à la douleur exprimée, à l’espérance parfois, à l’attente, à la nuit transfigurée.

@ Monique Parmentier

L’Officium Hebdomadae Sanctae est une œuvre hors du commun, considérée par beaucoup comme un des « chefs -d’œuvre absolus du genre liturgique dans le contexte du Maniérisme ». On y perçoit l’influence de la littérature humaniste du XVIe siècle sur un compositeur installé à Rome depuis de nombreuses années et sous influence de la musique de Palestrina. Il a découvert au cœur de la Cité éternelle au Collegium Germicum des figures de rhétoriques qui dans l’Officium Hebdomadae Sanctae se développent dans toute leur splendeur. L’art oratoire est ici au service d’une élévation spirituelle qui touche au céleste, à une manière de chanter quasi surnaturelle. C’est une œuvre grandiose, un jeu d’ombres et de lumières, qui comprend le cycle complet de la Semaine Sainte. Pour la servir, le maestro catalan a réuni autour de lui, une distribution à l’équilibre vocal parfait, même si deux des chanteurs ont retenu plus particulièrement notre attention. Tout d’abord la Mezzosoprano Marianne Beate Kielland, sa diction parfaite et son timbre moiré suggèrent les contrastes d’ombres et de lumière, de douleurs et de joie qui parsèment le chemin d’épines et de pétales de rose, emportant l’esprit vers l’élévation. Le timbre et la prosodie du ténor Victor Sordo, souligne avec un art consommé le brillant et la limpidité de la transcendance musicale. Mais c’est l’ensemble des chanteurs (Lucía Martín-Cartón et Monica Piccinini, sopranos ; Kristin Mulders, mezzosoprano ; David Sagastume et Gabriel Díaz, contreténors ; Lluís Vilamajó et David Hernández, ténors ; Marco Scavazza et Josep-Ramon Olivé, barytons ; Daniel Carnovich et Pieter Stas, basses) et musiciens qui doit être loué, tant ils parviennent à un équilibre, profondément troublant, à en paraître « surnaturel ». Ils ont dès les premières notes et les premiers mots, arrêté l’écoulement du temps, brisé le sablier. Les couleurs instrumentales créent un voile sonore luminescent, enveloppant et radieux. 5 musiciens d’Hespérion XXI entourent le maestro catalan, Sergi Casademunt, ténor de viole, Philippe Pierlot, altus et basse de violle, Joaquin Guerra, doulciane et Xavier Puertas, violone. La direction de Jordi Savall inspirée et bienveillante souligne la dramaturgie de ce long voyage. La musique efface les ténèbres dans les cœurs, nous guidant vers l’harmonie céleste.

@ Monique Parmentier

La seconde soirée a été consacrée à un concert d’« Orpheus XXI, Musique pour la vie et la Dignité », intitulé « Chemins de l’exil et l’espoir – Musiques solidaires contre l’oubli ».

Je vous ai reparlé dans mon premier article de « ce projet interculturel d’action pédagogique et créative, en faveur des jeunes réfugiés et immigrants, conçu et dirigé par Jordi Savall. En résidence à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, soutenu par les Pouvoirs Publics et des mécènes tels que les Fondations Edmond de Rothschild et Orange et bien évidemment le Centre Internacional de Música Antiga (la liste complète est fournie dans le programme), ce projet a depuis sa création en mars 2017, beaucoup évolué. Les premiers concerts ont été donné à Arles puis à Fontfroide en après-midi l’année dernière, puis cet automne (voir ma chronique) au Palais de la Porte Dorée, avec des effectifs plus importants et la participation directe aux côtés des musiciens attachés à ce projet (formateurs et instructeurs) de Jordi Savall avec un programme plus élaboré. C’est désormais avec les chœurs d’enfants dont les ateliers ont débuté cet automne à travers la France et l’Europe, que peut être présenté au public comme un accomplissement ce tout nouveau programme donné ce soir en l’Abbaye de Fonfroide, après une première représentation, en présence de la Ministre de la culture, fin juin lors du festival de l’Abbaye de Saint-Denis, à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés.

@ Monique Parmentier

Celle qui en parle le mieux est Waed Bouhassoun et avant que de vous livrer mes impressions la citer me semble incontournable : « On réalise ce travail avec l’autre dans une ambiance familiale, car avec Jordi Savall nous sommes une famille dont les membres sont originaires de vingt pays, où il y a une âme joyeuse avec laquelle on arrive à faire quelque chose de beau. Il n’y a pas de vedette parmi nous, il y a seulement le plaisir de jouer, de chanter, de découvrir et d’échanger ».

Disons le tout de suite, c’est exactement cela que nous ressentons et ce dès la montée sur scène de l’ensemble des musiciens et chanteurs. Non seulement, ce que j’écrivais en novembre 2017 est toujours vrai, il est incroyable comme les enchaînements entre les pièces pourtant issues de traditions extrêmement diverses et aux traditions et techniques d’interprétations si différentes, coulent de source. Mais la joie sur scène, le bonheur d’être là se transmet entre interprètes et ces derniers et le public. Cette empathie qui se noue dès les premières secondes, libèrent les énergies et les talents. Pas un instant, nous aurons le sentiment de voir s’écouler le temps. Ce concert tient de la féérie ou du conte. Chaque chanteur, chaque musicien affirme sa personnalité sans pour autant mettre à mal la cohérence de l’ensemble, mais bien plutôt en enrichissant les nuances et les couleurs de saveurs, de parfums aux senteurs, aux sensations de mille et une merveilles qui jaillissent comme autant d’étoiles dans un ciel pur. Nous retrouvons certains des musiciens et chanteurs déjà croisés sur les routes d’Orpheus XXI. Bien évidemment, Jordi Savall et les instructeurs issus d’Hespérion XXI, Waed Bouhassoun, Moslem Rahal, Daud Sadozai et Hakan Güngor, mais également celles et ceux qui sont devenus les formateurs et qui nous ont déjà éblouis Rusan Filiztek au Saz et chant, Neşet Kutas aux percussions, Kurdes de Turquie, Azmari Nirjhar au chant du Bangladesh, Rebal Alkhodari à l’oud et au chant de Syrie. Sont venus se rajouter à eux ce soir Georgi Dimitrov, au cymbalum et chant, Hovhannes Karakhanyan au duduk d’Arménie, Maemon Rahal au kanun de Syrie et Abu Gabi au chant du Maroc.

@ Monique Parmentier

Tous ont un immense talent. Il ne peut y avoir de « vedette » car tous ont quelque chose à partager, qui tient de l’ivresse mystique, une ivresse faite d’amour et d’amitié, dont les fruits sont la concorde, la gaieté, la félicité et un enthousiasme communicatif. L’on se prend à attendre le chant des moissons interprété par Rusan Filiztek accompagné par Neşet Kutas aux percussions, mais l’on découvre avec émerveillement, cet instant de dialogue du chant des oiseaux entre la viole de Jordi Savall et les sifflements à la mode Nikris de Rusan Filiztek entre Canarios et chanson kurde religieuse Yezidi. Lorsque ce chant de la nature se met à résonner dans l’abbaye, pendant un court instant, au cœur du songe on a le sentiment que la nature se convie à la fête… celle des jardins d’orient… c’est d’une telle délicatesse ce dialogue, que son réalisme n’en est que plus poétique. Les duos entre Azmari Nirjhar et le chanteur marocain Abu Gabi, apportent une note de douceur et d’innocence que vient un peu plus enrichir le chœur des enfants. Difficile de se souvenir de chaque détail interprétatif car au fond, l’on n’a guère envie de prendre des notes, juste de se laisser emporter et de voyager, de découvrir. Mais que ce soit le duduk, dont l’interprétation de Hovhannes Karakhanyan offre toute la suavité attendue, le chant virtuose et tellement bouleversant du chanteur oudiste Rebal Alhodari, le kanun de Maemon Rahal et le cymbalum de Georgi Dimitrov tellement scintillants, tous parviennent à nous toucher et à nous transmettre la richesse de leurs répertoires et cet humanisme bienveillant qu’ils partagent entre eux. Ils ont pour certains vécus des choses extrêmement douloureuses dont le déracinement, mais à aucun moment, l’on ne ressent la peur ou la souffrance, ou si parfois elles sourdent dans certaines pièces, on perçoit ici combien ils les transcendent pour mieux les dépasser.

@ Monique Parmentier

Quant au chœur d’enfants (au nombre de 8 issus de l’atelier de Saint-Denis et de Dortmund), on ressent leur implication, leur envie tout à la fois de s’amuser et le sérieux apporté dans le plaisir de chanter. Je n’oublierai jamais, l’un d’entre eux qui juste avant le concert, répétait encore et sans cesse ces quelques paroles et notes d’Üsküdar dans la Cour Louis XIV. Les voix du vent semblaient l’encourager et l’apaiser dans sa quête. Le concert de ce soir a été la plus belle des fêtes qui puissent se donner, celle de l’innocence, une fête au goût d’éternité. Puisse ce projet conserver en toute quiétude et ouverture d’esprit ses objectifs de fraternité, de transmission et de partage.

@ Monique Parmentier

Le troisième concert, nous permet de retrouver le maestro catalan dans le répertoire qui l’a fait connaître, celui de la viole de gambe. Au programme, les Nations de François Couperin. Il est accompagné ici de 7 musiciens avec qui il joue régulièrement. Marc Hantaï à la flûte traversière, Patrick Beaugiraud au hautbois, Josep Borràs au basson, Manfredo Kraemer et David Plantier au violon, Xavier Diaz-Latorre au théorbe et à la guitare et Marco Vitale au clavecin. Ce concert recevant la visite des mécènes et des Pouvoirs Publics, je me suis retrouvée placée un peu trop loin pour parfaitement percevoir la viole, mais les songes qui émanent de la musique de Couperin et une interprétation favorisant la méditation m’ont permis de m’échapper vers un ailleurs apaisant. Se demande t-on lorsqu’on vient à un concert comme simple public pourquoi et comment la musique naît et nous transporte dans un monde meilleur, plus serein et plus doux ? J’ai donc fait le choix de renoncer aux notes et à la concentration de la quête des qualités interprétatives dont on sait pertinemment qu’elles étaient là, d’ailleurs la qualité des songes est là pour le démontrer. Marc Hantaï à la flûte traversière et Patrick Beaugiraud au hautbois nous offrent un son d’une grâce ineffable, dont émane une lumière mélancolique que vient revitaliser l’énergie des violons. Jordi Savall connaît parfaitement Les Nations qu’il a enregistré dans les années 80 et François Couperin. Il le connaît, mais plus encore il nous en dévoile l’âme. Cette conversation amicale entre musiciens en cisèle l’invention mélodique, l’élégance de l’éloquence et la sensibilité de la ligne musicale. Toute la fugacité de l’instant, cette sensation de l’éphémère sourdent de cette musique. Les interprètes deviennent poètes et leurs doigts laissent courir la plume pour mieux faire étinceler la magnificence de cette musique des ombres.

@ Monique Parmentier

L’avant dernier concert est celui que nous attendions tous sans peut être oser nous l’avouer. Tout comme celui d’Orpheus XXI, il aurait du se tenir à l’extérieur mais tout comme pour Orpheus XXI, la météo s’y est opposée et d’une manière extrêmement violente en cette soirée du 18 juillet. Mais comme dans Pandora la tempête et la foudre accompagnent le Hollandais volant et Pandora dans cet autre temps, celui de l’amour retrouvé, la tempête orageuse qui s’est abattue sur l’abbaye de Fontfroide en ce début de soirée, est venue créer une atmosphère étrange et mystérieuse, semblant permettre au Temps Retrouvé, titre du programme, de transformer notre perception du temps, notre mémoire et nos émotions.

Jordi Savall a pour ce concert réuni autour de lui, ses deux enfants Arianna Savall et Ferran Savall, mais également leurs partenaires respectifs : Petter Udland Johansen, le mari d’Arianna au Hardingfele et à la mandoline ainsi qu’au chant et Meritxell Neddermann aux claviers qui accompagne Ferran. On a pu également entendre Sveinung Johansen à la guitare acoutisque et dobro et David Mayoral qui participent tous deux aux projets de l’ensemble Hirundo Maris, mais pour le second, il travaille régulièrement aussi bien avec le maestro catalan que son fils.

@ Monique Parmentier

Le programme proposé Le temps retrouvé « musiques du temps et de l’instant », Dialogue entre le Sud et le nord et entre l’Ancien et le Nouveau monde réunissait tout aussi bien des musiques du répertoire commun à la famille Savall (musiques de Diego Ortiz, de Marin Marais, de Méditerranée et berceuses sépharades), mais également quelques très belles improvisations de Ferran Savall et les musiques de l’album Hirundo Maris d’Arianna Savall et Petter Udland Johansen. Ainsi écrit, ceux qui ne connaissent pas suffisamment Fontfroide, ou la famille Savall pourraient se dire rien de bien nouveau… et pourtant la magie de ce programme est unique et fantasmagorique. Elle est celle de la Voix de l’émotion, celle qui ouvre les chemins à ce que nos cœurs ont de plus secret. Pas un d’entre nous ne sera reparti à l’issue de ce concert, sans en avoir été bouleversé.

@ Monique Parmentier

Bien sûr tous les musiciens sont des artistes virtuoses et ils ont tous déjà joué ensemble et se connaissent parfaitement. Mais la poésie du lieu, ce que le maestro et ses deux enfants y ont tant de fois partagé et ses retrouvailles autour de l’absente si présente et si bienveillante, donnent à cette soirée quelque chose qu’aucun mot ne pourrait réellement décrire, d’autant plus que chacun de nous l’aura perçu à sa manière. Ferran Savall reprenant El Testament d’Amelia chanté par sa mère en un murmure, Arianna guettant les regards de son père et les regards que posent ce dernier sur ses enfants lorsqu’il pose sa viole et les écoute relève de l’insondable mystère de l’âme qui s’abandonne à ses souvenirs. La joie de vivre de certains chants traditionnels du nord que Petter Udland Johansen interprète avec une si flamboyante énergie, fait surgir comme autant de fées et de trolls qui se chamaillent pour mieux danser autour d’un feu qui illumine les nuits d’hiver et qui parviennent à tenir tête à cette si douloureuse mélancolie qui tente de s’emparer des cœurs… que pourrait-on dire de ce concert, sans révéler de soi ce mystère qu’il nous permet de découvrir ? La si belle berceuse bretonne O Sonjal qu’interprète avec une indicible poésie Jordi Savall arrête le temps tout comme cette version de Üsküdar que nous donnent les musiciens, ou Noumi noumi yaldatii ou les improvisations de Ferran Savall, ou la surprise que nous fait David Mayoral lorsqu’il nous révèle son très beau timbre en prêtant sa voix à un air traditionnel américain. D’ailleurs, il me faut être franche, la voix si claire, si cristalline d’Arianna, le son de sa harpe si limpide et indicible, ses doigts d’Ondine qui courent de feuilles en feuilles comme une brise légère, m’ont alors depuis bien longtemps transportée par-delà le temps dans un monde que le temps avait effacé et que ce concert me permet de retrouver…. La conscience d’être se fait autre et ce que la musique nous donne dans un tel moment, ne saurait faire l’objet d’une chronique. La promesse que Montserrat Figueras me demanda de lui faire prend ici tout son sens. La viole, les voix et les instruments qui les accompagnent chantent en compagnie des voix du vent l’éternité retrouvée et  « je goûte en les écoutant ce goût unique de l’ineffable ». Les mots s’effacent… Mille e mille volte grazie. Une chose est certaine ce soir les interprètes ici réunis ont trouvé l’équilibre parfait et ont réalisé le concert que nous avons tous rêvé d’entendre une fois dans notre vie, parce qu’aucun sablier ne peut résister à tant de beauté et de générosité.

@ Monique Parmentier

Le dernier concert est celui du retour vers le temps qui s’écoule et le monde contemporain. Certes il est une étape magnifique, tant les pièces sélectionnées pour illustrer ce Guerre et Paix II consacré au Saint Empire Romain-germanique et aux règnes de deux de ses grandes personnalités politiques, Maximilien Ier et son petit-fils Charles Quint, sont superbes. Le choix des couleurs instrumentales et vocales soulignent avec brillance et exaltation, la gloire, l’orgueil, les doutes et la déchéance des hommes fussent -ils des souverains absolus. Le concert suit le fil de la vie de ces deux souverains et les évènements majeurs qui bouleversèrent l’Europe durant leurs règnes respectifs. Maximilien en Empereur Chevalier va régner en disposant d’atouts que son petit-fils n’aura pas l’obligeant à s’affirmer avec plus de détermination et de violence. Tous deux devront faire face à des temps troublés, mais tous deux étaient princes de grande culture. Le plus connu des compositeurs illustrant le règne du premier est Heinrich Isaac, auquel Jordi Savall a consacré il y a peu un CD magnifique, la musique de quelques anonymes sépharades ou médiévaux et Josquin des Prez se prêtent également à dépeindre ce dernier grand souverain d’une époque qui se meurt, mais qui est également l’aube d’une époque de grands bouleversements, la Renaissance. Cristobal de Morales, Adrian de Willaert, Antonio de Cabezon, Josquin des Prez, Hieronimus Parabosco, Thoinot Arbeau viennent illustrer les ombres et lumières du règne de Charles Quint. On retrouve le brillant des Sacqueboutiers de Toulouse (Jean-Pierre Canihac, Béatrice Delpierre, Daniel Lassalle, Elies Hernandis) pour illustrer les armures rutilantes et le fracas des combats avec toujours autant de brio, accompagnés par les percussions expressives de David Mayoral. Cet artiste tout au long du festival, nous aura fait entendre la richesse sonore des percussions de leurs grondements à leurs murmures, de leurs déflagrations à leur extrême délicatesse. Les violes de Jordi Savall et Philippe Pierlot, conversent gravement et librement sur les affects qui dévorent les âmes les plus secrètes et nous dépeignent cette mélancolie des regrets qu’ils soient d’amour ou de pouvoir et plus encore cette quête spirituelle de l'Homme fûssent t-ils des empereurs, face à la mort qui les attend. A la doulciane, Joaquim Guerra, vient apporter de la profondeur à l’ensemble. Les couleurs d’Hesperion XXI sont également ici complétées en gravité par le violone de Lorentz Duftschmid et l’orgue de Marco Vitale, tandis qu’à la vihuela et la guitare, Xavier Díaz -Latorre, fait danser cette Renaissance.

@ Monique Parmentier

La distribution vocale parfaitement équilibrée, -composée de Lucia Martin, Soprano ; Vivabiancaluna Biffi, Kristin Mulders, mezzosopranos ; Pascal Bertin et David Sagastume, contreténors ; Victor Sordo et Lluís Vilamajó, ténors ; Furio Zanasi, baryton et Daniele Carnovich, basse -, joue avec bonheur sur des nuances et des couleurs qui permettent de souligner la dramaturgie de cette fresque qui achève avec panache, cinq jours et nuits de pure joie musicale.

Ce texte, vous l’aurez compris en le lisant, n’a pas été écrit comme une critique, mais bien comme une chronique du Temps retrouvé, du partage et de l’harmonie. Elle me permet de dire mon immense reconnaissance à toutes celles et ceux qui permettent au Festival Musique & Histoire, pour un dialogue interculturel d’exister et de se renouveler année après année et bien évidemment au Maestro Jordi Savall et son épouse Maria Bartels. Merci aux musiciens et chanteurs, et aux équipes administratives et techniques. Un grand merci à ceux qui nous reçoivent et dont l’hospitalité est un don précieux, les familles d’Andoque de Sériège et Fayet, et tout particulièrement à Laure d’Andoque et Antoine Fayet, co-gérants du domaine, leurs représentants. Merci aux bénévoles dont on retrouve chaque année pour notre plus grand bonheur le sourire et la gentillesse. Merci aux partenaires et mécènes qui donnent aux artistes cette possibilité de nous enchanter. Merci, tout simplement merci à toutes celles et ceux que je pourrais oublier mais qui font que ce Festival peut se tenir et se tient dans cette ambiance si particulière, celle d’un ailleurs, qui nous libère d’un quotidien souvent oppressant le temps d’un instant.

« La main mouvante écrit. Et va, ayant écrit. Ni ta piété ne la saura, ni ton esprit fléchir pour qu'elle remonte à la ligne et l'efface. Ni tes pleurs d'un seul mot n'en laveront la trace." Omar Khayyâm.

Par Monique Parmentier

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Jordi Savall, Fontfroide 2018 : Des larmes des Elysiques à une joie parfaite

6 Août 2018 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

Chaque année depuis désormais 13 ans se tient en l’abbaye cistercienne de Fontfroide dans l’Aude, du 15 au 20 juillet, le Festival Musique et Histoire, pour un dialogue interculturel. La thématique cette année retenue Identités du Symbolisme à l’Humain, invitait à un long voyage sur les chemins de l’exil et les réponses de la musique et de l’imaginaire face à la déchirure et aux tragédies du déracinement, à cette redécouverte de soi et de l’autre par-delà l’inconnu, de l’étrange étranger qui sommeille en chacun de nous.

Sur un thème qui peut paraître aussi dramatique, où les larmes et les souffrances tant  physiques que psychologiques, sont aussi prégnantes, la musique, la poésie et la philosophie ont été unies par Jordi Savall, le créateur de ce festival, pour redonner à la joie du partage, du vivre ensemble, toute sa place dans la Cité, dans les cœurs meurtris et les âmes égarées.

@ Monique Parmentier

A Fontfroide, tout commence en fin de matinée du 15 juillet, au Zénitude hôtel de Narbonne qui devient en un instant une tour de Babel, où subitement arrivent des musiciens venant des quatre coins du monde, et où les langues de chacun se mettent à chanter la joie de se retrouver. Il faut avoir vécu ces moments de retrouvailles pour connaître tout ce qui fait la personnalité de ce festival si cher au cœur de son public. Chaque année est différente, mais chaque année l’on retrouve ce sentiment si propre à Fontfroide d’une famille qui se retrouve, avec quelques nouveaux membres et ces anciens qui savent les mettre à l’aise.

Tout semble se faire dans un mouvement qui semble précipité, il faut aller vite, les répétitions à l’abbaye qui se trouve à plusieurs kilomètres de la ville, déposée dans la garrigue attend ces musiciens et pourtant déjà, quelque chose qui va au-delà de l’urgence s’empare de chacun… cette communion entre tous, qui par la musique va arrêter le temps et nous séparer du monde réel.

@ Monique Parmentier

La programmation propose tout à la fois des concerts en après-midi et en soirée et s’est enrichie depuis l’année dernière d’un cycle de conférences dont les invités se sont montrés tous plus passionnants les uns que les autres. La première d’entre elle réunissait Edgar Morin sociologue et philosophe français et Philippe-Jean Catinchi, historien et journaliste au Monde, autour du thème Guerres irrégulières au XXIe siècle ; quels chemins pour la Concorde et la Paix ? Avec le brio qui le caractérise notre confrère du Monde a su mener la conversation avec celui qui nous interpelle et interroge toujours avec autant de force de conviction, alors qu’il a désormais 97 ans, par la portée de son analyse d’un monde qui se déchire. Le penseur parvient à nous présenter, sans porter de jugement sur les belligérants, la complexité de ces guerres qui de conflits entre états, sont entrés, à la fin de la Seconde guerre mondiale, dans un processus aux origines multiples. De cette présentation a alors pu battre le cœur même de ce qui anime le festival, « quels chemins pour la Concorde et la Paix » ? A chacun d’entre nous de méditer encore longtemps sur les pistes proposées afin peut-être de pouvoir apporter chacun notre part du Colibri, afin de parvenir à l’harmonie entre les hommes et entre les hommes et leur environnement.

@ Monique Parmentier

La seconde conférence aura été aussi marquante. Maria Bartels, l’épouse de Jordi Savall est une philosophe hollandaise passionnante à écouter, aux références d’une grande sensibilité. Elle a introduit dans les débats proposés une version mystique et poétique de « l’humanisme au XXIe siècle et de la place de l’artiste dans la société ». Néo-platonicienne dans l’âme, elle souligne avec tant de beauté cette perception de l’art, entre onirisme et passion, qui crée ce lien entre l’éternité et l’éphèmère à l’origine de l’art et du geste de l’artiste. Face à elle, la musicienne, chanteuse syrienne Waed Bouhassoun a répondu par un cas concret, le projet Orpheus XXI (dont j’ai chroniqué en novembre le concert « inaugural » au Musée de l’immigration à Paris) qui a été un des programmes phares du festival, et qui est en fait cette utopie voulu par le maestro, suite à sa visite dans deux camps de réfugiés à Calais en France le 16 avril 2016 et en Grèce quelques jours plus tard. Orpheus XXI permet à des musiciens professionnels réfugiés ou immigrés en Europe, de disposer des moyens pour développer un vrai projet professionnel et humain, sous l’égide de la Saline Royale d’Arc et Senans qui les accueillent en résidence. Ils y bénéficient d’un encadrement matériel et pédagogique pour faire connaître leur répertoire auprès des européens et transmettre aux jeunes générations cette identité musicale et poétique dont la richesse et la diversité sont des atouts majeurs pour permettre à chacun de vivre en paix avec soi et avec l’autre. Nous y reviendrons à propos du concert du 16 juillet au soir.

@ Monique Parmentier

Pour clore ce cycle de conférence, le philosophe et critique littéraire italien Nuccio Ordine accompagné de Jordi Savall, nous a interpellés sur la place perdue de « l’inutile » tant dans les cursus universitaires que dans notre société. Sur le thème « Retrouver les Racines de l’Europe au XXIe siècle, Culture contre globalisation : « L’utilité de l’inutile », il a rappelé combien la culture, l’art, la musique, l’éducation doivent reprendre leurs droits à être essentiel pour vivre… bien plus que ce besoin de se connecter à tout prix ou d’être rentable pour avoir le droit d’exister. A quoi sert la musique ? A rien aux yeux des affairistes, ce à quoi nous répondons à ses côtés, à vivre tout simplement… à vivre, à rêver, à partager.

Ces conférences ont été très suivies par le public des concerts de l’après-midi, conquis par des orateurs qui ont su redonner à l’espace public une vibration toute particulière, celle de l’écoute et de l’ouverture, et plus encore celle d’un instant où l’on s’arrête pour prendre le temps de l’inutile.

@ Monique Parmentier

Cette année en raison du caractère exceptionnel du premier concert « du soir » dont nous reparlerons, il n’y a eu que quatre concerts de fin d’après-midi. Du premier, Carte blanche aux musiques de Chypre, il me reste surtout un sentiment de quiétude et de beauté. Des voix des deux chanteuses, c’est tout particulièrement, la vocalité fascinante et singulière de Katerina Papadopoulou qui m’aura marquée. Il émane de ces mouvements de danse dont elle s’accompagne, une sensualité irréelle et inspirée. Son chant et ses pas de danse si fluides ensorcellent le public. Sa voix est empreinte d’une étrange mélancolie d’ombres irisées que parfois vient fendre comme un éclat de verre une lumière insaisissable. Mais le charme du chant d’Eda Karaytuğ est également une bien belle découverte et elle forme de très captivants duos, avec sa consœur grecque. Ces duos si riches en nuances si douces, nous rappellent que Chypre est une terre de rencontres entre deux cultures (grecque et turque) que l’histoire et surtout des chefs de guerre ont opposé, alors que toutes deux filles de Méditerranée ont tant de points communs, dont bien évidemment ces sentiments qui font de l’être humain un miracle de la vie, de la colère au rire, de l’amour aux chagrins, de la joie à la mort. Les 4 musiciens -Dimitri Psonis, au santur, saz, laouto ; Michalis Louloumis au violon ; Vaggelis Karipis aux percussions et Urdal Tokcan à l’oud- qui les accompagnent sont des maîtres grecs, turcs et chypriotes de ce répertoire dont le fascinant métissage se marie avec bonheur aux murmures des cigales et du vent à l’extérieur du Réfectoire où se tient le concert.

@ Monique Parmentier

C’est dans ce même lieu que le lendemain nous retrouvons pour une carte blanche à la musique syrienne Waed Bouhassoun (au chant et à l’Oud), Moslem Rahal (au ney) et Neset Kutas (aux percussions). Reprenant en partie le répertoire de leur CD, la Voix de la passion chez Buda Musique en rajoutant des percussions, les trois musiciens nous invitent à suivre les pas des bédouins et des seigneurs du sable, sur les routes du vent et du commerce. Lien de fraternité et d’échanges, permettant les rencontres les plus improbables et les plus riches, la musique et le conte tiennent une place vitale et unique dans cet univers de l’ailleurs si mouvant et où le temps se rythme au pas des dromadaires.

Waed Bouhassoun prend tout au long du concert régulièrement la parole pour évoquer les sources du répertoire interprété. Mais ce que l’on a, plus que tout envie de retenir, c’est cette amicale complicité entre les musiciens, ce murmure lancinant du ney, le bruissement si grave et profond des percussions, la voix si captivante de Waed Bouhassoun, qui interprète certaines pièces en duo avec Moslem Rahal. Ce dernier après une très brève présentation des nombreux "Ney" qu’il conçoit pour mieux accompagner le chant de la poétesse, se lance dans un solo d’une rare virtuosité. A capella ou s’accompagnant à l’Oud pour la poésie classique arabe qu’elle met elle – même en musique, la chanteuse, dont l’art du chant n’est pas sans nous rappeler la grande Oum Kalthoum, nous offre des instants d’une ardente émotion. Le second bis est une reprise en duo d’Üsküdara, une mélodie qui a fait le tour de la Méditerranée, reprise par l’ensemble de ces civilisations du Livre, qui en ont tour à tour fait, une chanson d’amour, une prière, une complainte… et que Jordi Savall depuis de nombreuses années reprend dans ses programmes, dans l’ensemble des langues des musiciens qui l’accompagnent. Ici Waed à l’oud et au chant, Moslem au chant, accompagnés du cœur palpitant des percussions, nous en livrent une version sur le fil des larmes et de la tendresse, le frémissement du sable et du vent.

@ Monique Parmentier

Le troisième concert de l’après-midi a pu se faire en terrasse dans des conditions météorologiques qui ont permis de retrouver ce charme si particulier des lumières et du chant de la nature si propre à Fontfroide. Du ciel bleu recouvert très vite par les nuages menaçants d’un orage qui allait dans la soirée se déclarer avec une rare violence, les deux musiciens, -  afghan pour le premier et franco-indien pour le second-, avaient carte blanche pour nous initier à la musique indienne et afghane. Entre improvisations et pièces classiques et populaires, Daud Sadozai au sarod et Prabhu Edouard aux tablas, nous ont offert un concert splendide et fascinant.

Malgré la guerre et les destructions, la musique traditionnelle d’Afghanistan est toujours bien vivante et un maître comme Daud Dadozai est là pour le démontrer. L’art, la beauté triomphent toujours en restant fidèle à leurs sources. Dans ce pays où la musique résonnait dans les rues, accompagnait la danse ou la prière, était si présente dans les cercles soufis, pouvait-il en être autrement.

@ Monique Parmentier

En Afghanistan, la musique est née et s’est développée autour de grands centres culturels tel Kaboul ou Herât, une ville proche de la frontière iranienne. Le rabab dont s’accompagne le maître est un instrument de la famille du luth. Entre virtuosité et poésie, cette musique chante l’amour sous toutes ses formes, ne détient-elle pas selon le poète Rumi des centaines de milliers de secrets d’amour. Parce qu’elle participe au mystère, elle invite à la contemplation. Les deux musiciens nous ont offert des instants de pure rêverie, se jouant des éléments lorsque le temps est brutalement devenu orageux, pour mieux nous inviter à échapper aux contingences terrestres. Ils nous ont permis de partager l’empathie de l’amour vrai quel qu’il soit, les noces spirituelles de la nature et de l’esprit, d’une nature tout aussi farouche et évanescente que cet amour vrai.

@ Monique Parmentier

Le dernier concert de l’après-midi était consacré à la musique bulgare. C’est le seul concert, qui aura totalement profité des belles lumières, un rien mélancolique des jardins et collines de Fontfroide. Contrairement aux autres années, ou bien souvent la brume venait recouvrir de tristesse la dernière journée, cette année, c’est cette dernière journée qui nous aura offert ses plus belles lumières. Une chanteuse, Stoimenka Nedyalkova et trois musiciens, Nedyalko Nedyalkov au kaval (flûte), Peter Milanov, au tambour et Stoyan Yankulov aux percussions, nous ont présenté un très beau kaléïdoscope du répertoire des Balkans. On y retrouve cette tendre nostalgie, cette joyeuse ivresse, cette musique dorée comme le blé du temps des moissons. Une fois encore la magie opère sur le public qui se laisse emporter par la remarquable virtuosité des musiciens et tout particulièrement celle de Nedyalko Nedyalkov, virtuosité dont la seule raison d’être est d’inviter au songe et de nous transporter dans le plus ésotérique des jardins imaginaires, celui de la concorde.

 Par Monique Parmentier

NB : Je prie les artistes et conférenciers de m'excuser pour les photos qui n'illustrent pas les concerts et conférences et/ou le flou de mes photos amateurs.

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Orpheus XXI, un songe fraternel

2 Décembre 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@LP/Philippe de Poulpiquet Le Parisien

Certains voyages, laissent un souvenir unique et onirique, celui auquel nous a invité Jordi Savall, en ce vendredi 24 novembre, a été le plus beau des songes, entre gravité, virtuosité et humanisme.

C’est au Palais de la Porte Dorée qui accueille le Musée de l’immigration que se déroulait, le tout premier concert en grand effectif de l’ensemble Orpheus XXI, accompagné par des musiciens d’Hespérion XXI et dirigé par le maestro catalan. L’évidence du lieu, pour accueillir cette programmation tient bien plus que du simple symbole, sous la magnifique fresque de Pierre – Henri Ducos de la Haille, peinte en 1931. Son exotisme chamarré voulait décrire les bienfaits de la colonisation. On se prend à penser à toute la souffrance et aux guerres engendrées par ce fléau « civilisateur » et à la nécessité pour les générations actuelles et futures d’en assumer la charge. L’hospitalité du Musée de l’Immigration marque mieux que tout cette réconciliation entre les peuples et ce respect si nécessaire de la différence dont chacun peut s’enrichir. Ainsi la démarche du projet Orpheus XXI a trouvé son écrin.

@Monique Parmentier

Cet ensemble dont la création officielle remonte à mars dernier, a été voulu par Jordi Savall suite à ses visites dans des camps de réfugiés à Calais et en Grèce. Ce projet est destiné à permettre aux musiciens réfugiés ou immigrés de faire connaître et transmettre leur patrimoine musical. Ils sont actuellement 21 au total. Grâce à de très nombreux partenaires dont la Saline Royale d’Arc-et-Senans, devenu leur lieu de résidence, ils ont enchaîné les séances de travail, les premiers concerts en petit effectif, cet été à Arles et à l’Abbaye de Fontfroide, et les actions de transmission dans les écoles. Ce soir, 6 d’entre eux, Rusan Filiztek (Kurdistan), Nezet Kutas (Kurdistan/Turquie), Azmari Nirjhar (Bangladesh), Rebal Alkhodari (Syrie), Anastasia Louniova (Biolorussie), Imad Eddine Amrah (Maroc), se sont présentés au public parisien accompagnés par trois de leurs maîtres issus d’Hesperion XXI, Waed Bouhassoun (Syrie), Moslem Rahal (Syrie), Hakan Güngör (Turquie). Si dans les précédents concerts, Jordi Savall ne se joignait qu’au bis, ici il a accompagné et dirigé un programme dont l’éventail du répertoire proposé, a permis a chacun de se découvrir et d’ouvrir les horizons de la richesse infinie de la pluralité des civilisations. Le programme de ce soir aurait pu paraître à certains d’autant plus improbables, que tous ces musiciens professionnels, sont issus de traditions et de techniques parfois très éloignées. Et pourtant, tout au long de la soirée, il a semblé couler de source. Les enchaînements entre chaque pièce étaient d’une extrême fluidité.

Dans le programme proposé ce soir, on retrouvait aussi bien des pièces traditionnelles chez Jordi Savall comme la Rosa enflorece ou la Quarte Estampie royale mais également Üsküdara. Cette mélodie qui a traversé les siècles, les continents, les civilisations, a, tour à tour, été un chant de fraternité, d’amour, de mélancolie ou de prière, que le maestro reprend régulièrement dans ses fresques musicales, tant elle exprime si bien à elle seule l’universalité des émotions. Mais, nous avons pu entendre également des pièces issues des répertoires des musiciens d’Orpheus XXI (des chants de récolte du Kurdistan, des chants et mélodie d’Arabie, de Syrie et de Biolorussie).

@ Monique Parmentier

Malgré leurs univers musicaux apparemment éloignés, la capacité d’écoute et de dialogue des interprètes réunis pour l’occasion, a donné des ailes à ces derniers. Nous révélant une virtuosité commune et si profondément intime. Le fruit de ces rencontres de l’âme et du coeur est d’une saveur incomparable. Chaque musicien et chanteur d’Orpheus XXI et d'Hespérion XXI, a durant la soirée eu l’occasion de nous émerveiller tant par des instants en soliste d’une grâce infinie, qu’en ensemble.

Le kanun d’Hakan Güngör qui introduit le premier chant, nous emporte dans un monde rêvé et raffiné, où telle la rosée du matin, les notes de musique nous éveillent en un jardin de sérénité et d’harmonie. Rejoint par le chant si fascinant de la chanteuse bangladaise Azmari Nirjhar, ils ouvrent l’horizon du songe et de l’apaisement. Rusan Filistek, nous avait ébloui l’été dernier par un chant des moissons envoûtant, à la limite de la transe, sentiment que l’on a retrouvé ce soir. Accompagné par le percussionniste kurde Neset Kutas, il transmet ce sentiment du sacré et du mystère lié à ce moment essentiel à toute civilisation : la moisson, temps du labeur et temps de joie. Dans des chants traditionnels syriens et séfarades l’oudiste/chanteur syrien Reball Alhodari et le chanteur marocain Imad Eddine Amrah, nous ont fait partagé l’émotion intense et ardente d’une vocalité qui transcende des chants aux thèmes universels. Il en est de même de la musicienne biolorusse Anastasia Louniova dont les accompagnements au cymbalum dans certaines pièces sont d’une extrême finesse et qui nous a charmé dans un chant intitulé Tsarkouka. Chaque pièce musical nous transporte ainsi dans des univers particuliers et enchanteurs, parfois mélancoliques, mais toujours si humains.

Et que dire de Waed Bouhassoun dont le chant et les talents d’oudiste nous subjuguent à chaque fois, tout comme le souffle incandescent du ney de Moslem Rahal et l’élégance infiniment délicate du Kanun de Hakan Güngör.

La direction de Jordi Savall crée un lien sensible, amical et bienveillant entre tous les artistes. Dans la très belle acoustique de la salle du Forum, la vièle à archet chante la beauté de l’âme humaine lorsque celle-ci s’accorde et partage la différence.

Orpheus XXI Les Chemins de l’exil et de l’espoir – Le 24 novembre 2017 – Palais de la Porte Dorée Musée National de l’histoire et de L’immigration – Orpheus XXI : Rusan Filiztek (Kurdistan), Saz & chant ; Nezet Kutas (Kurdistan/Turquie), Percussions ; Azmari Nirjhar (Bangladesh), Chant ; Rebal Alkhodari (Syrie), Oud et chant ; Anastasia Louniova (Biolorussie), Cymbalum & chant ; Imad Eddine Amrah (Maroc), chant. Hesperion XXI  : Waed Bouhassoun (Syrie), Oud & chant ; Moslem Rahal (Syrie), Ney & chant ; Hakan Güngör (Turquie), Kanun.

Jordi Savall, Vièle à archet, Lyra & Direction.

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Dialogues celtiques : Les esprits de la Forêt de Brocéliande à Paris

22 Septembre 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@Monique Parmentier

L’homme et la nature. Dialogues celtiques
Oeuvres traditionnelles irlandaises, de Galice, écossaise et basque

Jordi Savall, dessus de viole, lyra-viol et direction
Carlos Núñez , flûtes et pastoral pipes
Pancho Álvarez, viola caipira & vielle à roue
Xurxo Núñez, percussions, théorbe et guitare
Andrew Lawrence-King, harpe et psaltérion
Frank Mc Guire, Bodhrán

Salle Gaveau, le 19 septembre 2017

Depuis que certains d’entre nous avaient eu la chance de voir et entendre ce programme au Festival Musique & Histoire de Fontfroide en 2016, nous espérions avoir la chance de le retrouver, tant il nous avait émerveillé et restait à jamais inoubliable.

Dans la cour Louis XIV de l’abbaye, par une douce nuit d’été sous les étoiles et un onirique levé de lune, nous avions été transporté loin, très loin, de toute réalité. Nous ramenant au coeur des traditions celtes, honorant la nature par sa poésie, sa musique et ses légendes, ce programme ouvre les horizons d’un monde traversé par une culture qui a essaimé à travers toute l’Europe son univers, rendant fécond le dialogue entre les peuples, abolissant les frontières physiques ou psychologiques.

@Monique Parmentier

C’est donc grâce à la programmation baroque de Philippe Maillard production -que cette communion entre l’homme et la nature, si caractéristique des traditions celtes-, que ses retrouvailles ont été possibles. Nous avons été nombreux à répondre à l’invitation de Jordi Savall, Carlos Núñez et des quatre musiciens qui les entouraient ce soir.

Le concert aurait pu souffrir d’un cadre citadin, mais il n’en a rien été. La salle Gaveau bénéficie d’une acoustique exceptionnelle et le public parisien, c’est quasi instantanément laissé envoûter par des musiciens dont le talent et la générosité ne peuvent que séduire les plus endurcis.

L’architecture du programme est constituée de différentes parties, au titre aussi divers que les mondes celtiques qu’il nous invite à découvrir. Chacune de ces parties est composée de pièces tant traditionnelles que modernes et permet à chaque musicien de nous faire entendre toute la diversité et la richesse de leurs instruments. Passant de pièces mélancoliques au plus dansantes, de l’Irlande à la Galice, de l’Ecosse à la Bretagne, dans la salle où règne une semi – obscurité, la lumière qui émane de la scène et des musiciens, nous ensorcelle. La mélodie si faussement simple de Ponthus et Sidoine que chante la flûte de Carlos Núñez, et la viole de Jordi Savall, possède un tel pouvoir d’envoûtement que l’on a le sentiment de voir s’ouvrir devant nous les frondaisons de la Forêt de Brocéliande. Les musiciens se transforment en enchanteurs, en bardes, nous faisant passant passer, virevolter de musique lente et nostalgique, comme le lamento Caledonia’s Wait for Niel Grow en danse joyeuse et folle comme Sackow’s Jig. Comment ne pas être touché par ces rythmes endiablés ou lent, presque des complaintes qui s’enchaînent, toujours entêtants parce que répétitifs et si mélancoliques ?

@Monique Parmentier

Les regard admiratifs de Carlos Núñez, véritable virtuose de la flûte et de la gaïta galicia (cornemuse galicienne) pour Jordi Savall, porte les nôtres vers le maestro catalan qui nous éblouit par la passion, l’ardeur, l’engagement de son interprétation des pièces pour viole. Mais ces regards sont réciproques et le chant si sensuel de la flûte nous captive. La ductilité de l’interprète, son jeu fluide, fougueux et fervent, nous fait abandonner toute défense, jusqu’à nous emporter dans la danse.

Et que dire des quatre musiciens qui se sont joint à eux. Andrew Lawrence-King à la harpe et au psaltérion fait preuve tout à la fois de hardiesse et de délicatesse tant dans ses accompagnements que dans les pièces solistes qui lui échoient dans les Carolan’s Harp, accompagné au bodhrán par Frank Mc Guire. Tout au long du concert, ces derniers nous ont donné à entendre le chant de la forêt et de la Dame du Lac. Entre un souffle lointain et l’onde qui s’écoule, ils ont été les messagers d’une nature, ne demandant qu’à faire tomber les murs pour mieux renaître.

@Monique Parmentier

Les deux compagnons de Carlos Núñez, son jeune frère Xurxo Núñez aux percussions et Pancho Álvarez à la viola caipira et à la vielle à roue, ont enrichi des couleurs de leurs instruments et de leur passion, ces mélodies des temps ancestraux et légendaires.

Comme à Fontfroide en 2016, trois bis féériques sont venus conclure cette soirée en terre de jeunesse éternelle. Car c’est bien en Avalon ou Tir Na Nog, que les musiciens nous ont emmené, terre de fraternité, de bonheur et d’amour. Le premier bis une musette de Marin Marais, hommage à la cornemuse, instrument celte par excellence, a été interprété par un Jordi Savall fougueux et précis. Elle a introduit cette danse, An dro, durant laquelle Carlos Núñez a fait se lever le public parisien à l’orchestre. Celui-ci n’a pas pu résister aux sortilèges de sa flûte, puis de sa cornemuse. Tout se passant comme si le souffle des esprits de la nature appelés par les musiciens, prenait possession de chacun de nous, en nous entraînant pour achever la soirée en une chaîne, folle « farandole » (référence si peu celtique mais dont j’espère que les puristes me la pardonneront). Comment ne pas être éternellement reconnaissant aux musiciens pour ces instants de bonheur infini.

 

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Voix humaine, voix du vent : à Fontfroide la vie est à jamais un songe

11 Août 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

Le 14 juillet au soir, la veille de l’ouverture du festival, avec quelques musiciens, nous nous sommes rendus pour dîner à l’abbaye. Alors que nous prenions le chemin du retour vers Narbonne et que certains continuaient à discuter, il m’a semblé, tandis que nous traversions la Cour Louis XIV de l’abbaye, entendre au loin comme un appel porté par le vent. Une voix douce et sereine, une voix du vent, une voix humaine qui s’est mise à chanter, murmurer, rêver. La viole de Jordi Savall, répétant et méditant, aura été mon premier concert du soir. Il n’aura fallu qu’un cours instant pour briser mes chaînes et partir vers des horizons lointains, ceux qui pendant cinq nuit allaient ravir l’esprit du public fidèle du festival Musique & Histoire pour un Dialogue Interculturel.

 

Cinq invitations au voyage, toutes plus envoûtantes les unes que les autres étaient au programme de l’édition 2017 de ce festival.

 

@ Monique Parmentier

La première, la seule qui ait pu bénéficier d’un concert à l’extérieur, nous a permis de reprendre les chemins suivis par Ibn Battuta. Alors que dans la première partie, créée en novembre 2014 à Abu Dhabi et donnée ici-même en juillet 2015, nous avions suivi, celui que les arabes appellent « le voyageur du temps », sur les routes menant le Pèlerin qu’il avait vocation à être, vers le Golfe persique, puis appelé par l’étrange étrangeté de l’ailleurs vers l’Anatolie, le Yémen, l’Egypte, le Maroc… cette seconde partie, nous transporte encore plus loin, vers cet Extrême Orient, dont arrivent épices et parfums, mais aussi tout un art de vivre diamétralement opposé à ceux rencontrés par Ibn Battuta lors de la première partie de son périple. Loin de tout exotisme de pacotille, la musique et les textes retenus pour illustrer cette nouvelle fresque, sont à l’image de cet homme, tout à la fois explorateur, observateur, curieux insatiable, en quête d’un horizon toujours plus vaste. Loin d’être totalement ouvert à la culture des autres, Ibn Battuta n’a guère aimé la Chine, trop loin de ses propres racines arabo-musulmanes, il n’en reste pas moins, celui qui bien plus que Marco Polo, nous a laissé un témoignage unique d’un voyage oscillant entre faits réels et onirisme d’une mémoire restituée bien après son retour au Maroc. Moins fantaisiste et plus poétique, son regard sur ces autres mondes, nous invite à explorer notre vision de l’ailleurs et la motivation de ces voyages que nous entreprenons tout au long de notre vie, aux confins parfois de la méditation.

 

Miniature Perse 1327 relatant le voyage d'Ibn Battuta

S’ouvrant sur une pièce instrumentale chinoise « Chun jiang hua yue ye » (« Clair de Lune ») interprétée par deux musiciennes virtuoses, Lingling Yu au Pipa et Xin Liu au Zheng, ce programme va tout au long de la soirée, nous emporter sur des pistes de sable, dont les étoiles sont les guides et les dromadaires des compagnons aux pas lents et surs.

 

On ne peut qu’être subjugué par le son fluide et cristallin des deux instruments chinois et leurs interprètes à la gestuelle élégante qui dessine une calligraphie faite de courbes, de nuances à l’infinie délicatesse. Les pièces retenues par Lingling Yu sont issues de la musique classique traditionnelle chinoise et les deux instruments appartiennent à des coutumes ancestrales. Comme les estampes anciennes, elles ne sont que poésie et subtiles sonorités. Il en émane une sensation d’instants d’harmonie, de paix. L’esprit s’abandonne à ce temps qui coule entre les doigts des musiciennes, s’apaise, oublie, s’oublie. Le Zheng et le Pipa esquissent les jeux de lumière du clair de lune, nous font ressortir d’un trait le chant des ruisseaux et des montagnes (« Gao shan liu shui » (Ruisseau et montagne), percevoir dans ce printemps en éveil, ces notes perlées de la neige qui fond (Printemps et neige). La parfaite maîtrise technique des deux musiciennes et leur sensibilité à fleur de peau est un enchantement. Le raffinement des techniques d’appuis, des glissandi, des vibrati et croisés de cordes au zheng de Xin Liu et l’exceptionnelle sensibilité de Lingling Yu au pipa, créent une atmosphère unique, une nébulosité au moment présent, un « sfumato » musical et de l’âme qui donne sens au voyage.

 

Mais sur les chemins d’Ibn Battuta, ce sont également tous les autres musiciens dont s’entourent avec tant de justesse le maestro catalan, qui donnent à ce voyage ce ton si fantasmagorique et généreux. Nous retrouvons avec plaisir le récitant Bakary Sangaré, le comédien français d’origine malienne, sociétaire de la Comédie française qui portait avec tant de conviction et de sensibilité le texte des Routes de l’Esclavage. Manuel Forcano et Sergi Grau auteur des textes, lui offrent un récit où s’entremêlent le témoignage d’Ibn Battuta et les faits historiques qui ont marqué le XIVe siècle. Tandis que le programme musical que propose Jordi Savall, nous livre la quintessence de la diversité de ces mondes pour lesquels la Route de la Soie, est une voie de partages et de connaissances.

Furio Zanasi souffrant, Lluís Vilamajó assure à lui seul la partie chantée des pièces européennes. Il cisèle son interprétation avec une ardeur farouche et captivante.

 

@ Monique Parmentier

Face à cette Europe encore en plein Moyen-âge, mais où l’Occitanie développe un art de cour raffiné et courtois, les civilisations d’Orient connaissent un âge d’or dont la pluralité musicale est si évocatrice de la luxuriance des modes de vie. Les percussions (tablas) d’Inde de Prabhu Edouard étoffent les percussions européennes, toujours aussi splendides, de Pedro Estevan, de variations rythmiques savantes et subtiles. Avec le sarod (instrument à cordes pincés indien) de Daud Sadozai, musicien Afgan, elles nous portent sur les rives du Gange, en quête de sérénité.

 

Si l’on retrouve pour évoquer le chemin du retour qui passe par le Mali, Ballaké Sissoko, et Driss el Maloumi, les deux amis de l’ensemble 3MA, dont la noblesse de jeu et d’improvisation, nous émerveillent à chaque fois, c’est avec Waed Bouhassoun, la chanteuse oudiste syrienne, que ce dernier nous offre un moment de pure poésie, dans le duo sur une chanson marocaine, dont la traduction ne figure pas sur le programme : Fiyachia. Leur timbre de velours s’apparie avec volupté.

 

Au ney, Moslem Rahal et au duduk et belul Haïg Sarikouyoudjian, donnent au souffle du désert cette tendre sensualité, si apaisante et irréelle, ce sentiment de survoler les routes, les mers et les montagnes qui sillonnent le trajet improbable et palpitant que suit Ibn Battuta.

 

Le Kanun d’Hakan Güngör et l’oud de Yurdal Tokcan apportent un complément d’âme et de brillance, à ce tapis de soie si fine, vaporeuse et pourtant si somptueuse dont est fait l’orchestre du voyageur du temps.

 

Jordi Savall dirige avec empathie et sagesse ces musiciens que tout devrait séparer et que tout réunit avec harmonie. Il les accompagne à la vièle et au rebec, en dialoguant, écoutant, partageant ces émotions et ces questionnements incessants du voyageur en quête des « secrets » de la vie.

 

@ Alia Vox

Si la Venise millénaire célébrée l’année dernière à Fontfroide ne fût pas une étape du voyageur de l’Islam, elle n’en fut pas moins, un lieu de passage quasi obligatoire pour tous les voyageurs, dont les musiciens. Ville libre, elle est non seulement l’un des centres du monde pour le commerce, mais également pour l’art et la musique. Si l’opéra public y voit le jour, c’est également dans la Cité des Doges que naît l’édition musicale en 1501, avec l’Harmonice musices Odhecaton d’Ottavio Petrucci.

 

Dans le programme du second concert du soir, le maestro catalan, nous offre donc en compagnie d’un consort de violes composé de Philippe Pierlot, Sergi Casademunt, Lorenz Duftschmid, Xavier Puertas, et au théorbe et à la guitare Enrike Solinis et aux percussions Pedro Estevan, un voyage à la découverte des influences vénitiennes sur le répertoire pour viole.

 

Entre musiciens célèbres comme Girolamo Parabosco ou Biagio Marini ou des organistes de Saint Marc, moins connus mais qui nous ont laissé de nombreux Ricercari aux charmes certains et ces européens, anglais comme Dowland ou Gibbons, français anonymes du temps de Louis XIII ou allemand comme Samuel Scheidt, ce tour de l’Europe musicale auquel nous sommes conviés, nous offre le plaisir d’entendre des musiciens, dont bien évidemment Jordi Savall, dans ces répertoires mélancoliques, aux sortilèges surnaturels. Ici tout est partage, attention à l’autre, et le chant des « voix humaines », nous redonne cette écoute du silence si unique et si tendre. Tout ici oscille entre la lumière italienne et la pénombre du nord. Que dire des 7 interprètes de plus, si ce n’est cette intime correspondance des âmes qui émane de l’ensemble. Aucun n’est là pour dépasser l’autre, mais pour dialoguer et nous donner à percevoir, ce monde invisible de la nuit. Dans un bis d’une virtuosité incandescente, Jordi Savall, nous fait un don d’une allégresse juvénile rare.

 

@ Monique Parmentier Rose de la Narbonnaise

Avant que de traiter du concert donné par Euskal Barrokensemble, qui illustra avec tant de passions la troisième nuit de concert, c’est du concert intitulé « Tous les Matins du monde » dont je dirais quelques mots ici. Ce programme recréé à l’occasion des 25 ans de la sortie du film, en septembre 2016 à Gaveau, est en partie celui que l’on peut entendre dans le film adapté du roman de Pascal Quignard par Alain Corneau. Jordi Savall y a remplacé les Leçons de Ténèbres de Couperin par des pièces pour violes de ce dernier et adapté pour instruments les variations sur l’air d’une Jeune fillette qui étaient chantées à l’époque par Montserrat Figueras et Maria Cristian Kiehr. Si à Paris, il avait rajouté des pièces de M. de Machy ou de Jean-Baptiste Forqueray, il a préféré ici une Sonate de Jean-Marie Leclair, permettant à l’ensemble des musiciens d’exprimer plus que tout leur talent, leur amour d’un répertoire d’une grande beauté.

 

C’est à l’occasion de ce film que la carrière musicale déjà bien riche du maestro catalan, a pris une tournure quasi universelle, tant son interprétation à fleur d’émotion de cette musique qui jusqu’alors ne touchait qu’un public averti, est parvenue à toucher ce que d’aucuns appelleraient un public moins amateur des concerts de musique classique et qui depuis est resté fidèle et reconnaissant au maestro pour la redécouverte de tous ces répertoires d’une beauté sans pareille.

 

En ce 18 juillet, c’est avec une distribution étoffée, par rapport à l’automne dernier que Jordi Savall à la basse de viole et à la direction, a proposé ce programme au public extrêmement silencieux et attentif de Fontfroide. On y trouve donc en plus un violon, Manfredo Kraemer, une flûte, Charles Zebley et Rolf Lislevand est remplacé par Enrike Solinis au théorbe, mais l’on retrouve Philippe Pierlot à la basse de viole et Pierre Hantaï au clavecin.

 

Si la distribution est légèrement différente, le même sentiment de plénitude qu’à Paris nous saisit. Cette poésie ardente et diaphane est ici servie par des musiciens dont le talent n’a d’égale que l’humilité. Face à une météo extrêmement pénalisante, les musiciens par leur écoute de l’autre, parviennent à surmonter les difficultés. Ayant depuis longtemps dépasser la technique, ils peuvent se permettre d’improviser, sans jamais trahir, mais bien interpréter. L’on retrouve cette sensation étrange et fascinante de clair-obscur, qui donne à voir et entendre le murmure des ombres. La viole chante, console, leurre. Tout ici n’est que séduction et plaisir, apaisement et contemplation.

 

@ Euskal Barrokensemble

Les deux derniers programmes qu’il me reste à évoquer, sont tout au contraire, fait de feu, de passion, d’amour contrarié pour le premier et d’ode à la vie pour le second.

 

C’est la seconde fois que Jordi Savall, invite à se produire au Festival Musique & Histoire, le jeune ensemble basque de musique ancienne, Euskal Barrokensemble créé et dirigé par le guitariste Enrike Solinís.

 

Si en 2015, il s’était présenté au public de Fontfroide, avec un programme revenant sur les sources de la musique basque, cette année c’est l’essence même de la musique andalouse qu’il a décidé d’explorer. El Amor Brujo de Manuel de Falla qu’il interprète ici sur instruments baroques, s’inspire de légendes et d’anciens airs gitans. Composé en 1915 pour orchestre de chambre et cantaroa, ce ballet-pantomime est un joyau musical. La version proposée ici est réellement enthousiasmante, grâce au talent des musiciens et de la chanteuse qui les accompagne. La musique y est d’une extrême flamboyance. Sa vivacité est aussi insaisissable et ardente que l’évocation du feu dans Danza ritual del fuego.

L’auteur du livret, María de la O Lejárraga résume ainsi l’argument de la version originale de « L’amour sorcier » : « Une gitane amoureuse qui n’est pas payée de retour, fait appel à ses dons de magicienne, à ses maléfices et sa sorcellerie, pour infléchir le cœur de l’ingrat. Elle y réussit après une nuit d’enchantements, de sortilèges, de mystérieuses incantations et de danses plus ou moins rituelles. Au petit matin, quand l’aurore réveille l’amour qui, endormi, était encore dans l’ignorance, les cloches proclament avec exaltation son triomphe ».

 

Sorti au disque, chez Alia Vox, au printemps dernier, la version concert offerte diffère dans sa construction. Plus resserrée, on ne retrouve pas les deux sonates de Domenico Scarlatti et les pièces de Manuel de Falla et Joaquin Rodrigo ont été redistribuées. Cette version concert souligne les tensions, la fureur et la puissance des sortilèges de la Cantaroa et de la musique. On est emporté dans un flot de flammes et de passion, sans aucun relâchement possible.

 

@ Monique Parmentier

Les couleurs de l’orchestre sont incandescentes et virevoltantes, les nuances d’une subtilité démoniaque. Il n’est que d’entendre le dialogue contrebasse (Pablo Martín Caminero)/guitare (Enrike Solinís) tout en infîmes inflexions, flûte (Vicente Parrilla)/sacqueboute (Elies Hernandis) sur le fil du souffle dans l’Andante del amor perdido du Concierto de Aranjuez, pour être émerveillé par le travail des musiciens. La violoniste Miren Zeberio fait tournoyer à la folie feu et feu follet, tandis que les percussions obsédantes de David Chupete et Daniel Garay, sonnent l’inéluctable puissance de cette hypnose musicale.

 

La magnifique cantaroa María José Pérez, dont le timbre est lumineux le phrasé riche en nuances et si flamenco, crée des sortilèges d’une intensité fervente et impétueuse, mais aussi tendre et sensuelle.

 

Le public de Fontfroide ébloui a réservé à l’Euskal Barrokensemble, une véritable ovation. L’on ne peut qu’espérer que ce dernier sera programmé plus régulièrement en France.

 

@ Monique Parmentier

Alors qu’arrive le dernier concert, une vague de nostalgie surgit toujours. L’on sait que le lendemain à l’Hôtel Zénitude, partenaire du festival, qui accueille une grande partie des musiciens, tout redeviendra par trop paisible et que nous ne croiserons plus de musiciens avec parfois des instruments improbables. Ils nous manqueront. Mais pour rompre cette mélancolie de fin de festival, Jordi Savall a choisi de nous présenter un nouveau programme plein de fantaisie et de joie de vivre, en compagnie de l’ensemble mexicain Tembembe Ensamble Continuo, la Capella Reial de Catalunya et des musiciens d’Hespérion XXI.

 

Cette Fiesta Criolla, « cachuas et danses religieuses et profanes » est issue du Codex « Trujillo del Perú », provenant de la Cathédrale de Lima et datant des années 1780-90. Ce n’est donc plus la musique traditionnelle mexicaine, comme dans les précédents programmes consacrés à l’Amérique latine du maestro, que l’on découvre ici, mais l’univers des traditions musicales andines, sous le joug de la colonisation espagnole. Ce codex fait le lien entre les musiques traditionnelles, coloniales et celles appartenant au répertoire ibéro-américain. C’est avant tout un livre contenant beaucoup d’aquarelles et de textes présentant un grand intérêt ethnologique, aussi bien dans sa description de la vie quotidienne des indiens et des colonisateurs, qu’une somme de connaissances sur la diversité de la faune et la flore. Au milieu de tout cela, on trouve également des partitions.

 

@ Bibliothèque de Lima

Dès cette époque, on ne peut que constater combien l’influence des immigrants espagnols se fait sentir sur les traditions locales. Si les flûtes et les percussions (telle la quijada) sont belles et biens celles des traditions précolombiennes, guitare, harpe et violon sont eux des instruments venus d’Europe, que l’on retrouve dans les illustrations du Codex.

 

L’orchestre rassemblé par Jordi Savall prend donc en compte toutes ces spécificités. Toute la soirée, qui nous a semblé si courte, sous les voûtes de l’église abbatiale, n’aura été que joie et rire, insolence et émotion.

 

Toutes les couleurs sont là, franches et parfois si douces. Côté voix Ada Coronel et Maria Juliana Linhares resplendissent de bonheur. Adriana Fernandez, au soprano si lumineux nous enchante et Victor Sordo bénéficie d’un magnifique solo avec Jaya llûnch, Jaya Llôch, une tonada dont le texte est issu de la langue Moche, accompagné par un bourdon obsédant, évoquant la mort du christ. L’élégance du phrasé et la plénitude qui émane du chant, semble suspendre le souffle de la vie, un court instant. En duo ou trio, avec leurs camarades tous superbes de la Capella Reial de Catalunya, ils donnent corps à ces textes, célébrant Noël ou la liberté, parfois très audacieux et impertinents, ne s’attardant jamais longtemps sur les chagrins.

 

@ Bibliothèque de Lima

Et cet arc-en-ciel, fait également vibrer Hespérion XXI, toujours aussi luxuriant. A noter ses couleurs si péruviennes des flûtes, aux sons si étranges et dépaysants, de Pierre Hamon. Elles résonnent comme un appel de l’inconnu, du mystère, qui tôt ou tard pousse l’être humain, à partir au -delà, par-delà l’horizon.

 

Le festival s’est achevé dans la liesse et tandis que chacun reprenait la route, sous les étoiles, en notre for intérieur, rendez-vous était déjà pris, pour retrouver en 2018, cette famille, ces ami(e)s, ces Elisyques que nous laissions derrière nous.

 

XIIe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel – Célébrations, hommages, Solidarité & voyages insolites – Du 15 au 19 juillet 2017

Hespèrion XXI – La Capella Reial de Catalunya – Le Concert des Nations

Musiciens invités d’Afghanistan, Argentine, Arménie, Brésil, Chine, Espagne, Grèce, Italie, Madagascar, Mali, Maroc, Mexique, Syrie et Turquie

 

Jordi Savall

 

Par Monique Parmentier

 

 

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