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Le blog de Susanna Huygens

Ségurant, le chevalier au dragon, ""La route se poursuit sans fin"

27 Novembre 2023 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Poésie et Littérature

@ Emanuele Arioli Les Belles lettres

Dans un monde où les réseaux sociaux, la médiocrité, la méchanceté sont la devanture des magasins médiatiques et politiques, des chercheurs, des artistes, des libraires et éditeurs... Mais aussi des gens ordinaires, poursuivent la quête du merveilleux et du beau.

Ma bibliothèque idéale, s'enrichit toujours, y compris d'ouvrages "contemporains".

@ Emanuele Arioli Les Belles lettres

Je reviendrais très vite sur l'exposition à Landernau,  consacrée à John Howe qui touche à sa fin, et combien je regrette de ne pouvoir m'y rendre. Mais pour compenser, je viens de me commander le catalogue. Des interviews diffusées de ce fabuleux et romanesque illustrateur , (y compris celle de C28 sur Arte), sont également diffusées sur le net, toutes plus passionnantes les unes que les autres.

Mais il y a quelques mois, l'annonce du Festival d'archéologie de Narbonne, a attiré mon attention sur un documentaire qui y a été diffusé en avant première et qu'Arte à son tour nous a offert, ce samedi 25 novembre.

Un jeune chercheur d'origine italienne, Emanuele Arioli, vient de publier le fruit de ses recherches sur un (décomposé en plusieurs "éclats") manuscrit oublié de la Table Ronde, Ségurant, le Chevalier au dragon.

@ Emanuele Arioli - Les Belles lettres

Une aventure littéraire passionnante et onirique, dont on ressort totalement émerveillée. Non seulement, parce que l'histoire de ce chevalier est belle, mais parce que les manuscrits qui nous relatent son histoire, ont tout du trésor dont rêve tout chercheur, mais aussi parce que sa quête, nous renvoie à nos errances et questionnements.

Reconstituer l'histoire de Ségurant, à partir de manuscrits perdus, en partie détruit en raison de leurs liens avec les Prophéties de Merlin, manuscrit que le Concile de Trente, a tenté de faire disparaître, a donc été un défi à relever. Telle une chimère, à l'image du dragon de Ségurant, l'histoire du chevalier s'est amusée à un jeu de cache cache, qui n'est jamais venue à bout, malgré ses fausses pistes et ses silences désespérants, de la patience du chercheur.

 

@ E Arioli - Les Belles Lettres - Ségurant manuscrit de Turin

Sa ténacité a donné sens à cette quête qui est venue s'offrir à lui, dans la pénombre et le silence de la bibliothèque de l'Arsenal (BNF) et de toutes celles détenant des bribes de l'histoire. 

Si Emanuele Arioli, est un jeune acteur au regard ténébreux, sa formation universitaire sans faille, en fait avant tout un médiéviste talentueux. Il entreprend ses recherches non seulement avec une véritable méthodologie, mais en sachant, face aux difficultés ou à la nécessité de valider ses hypothèses, s'appuyer sur des ressources universitaires des plus sérieuses. Il nous dévoile ce mystérieux héros, qui devient au fur et à mesure de l'avancée de ses travaux, une quête de sens, devenant son coeur littéraire.

 

@ E Arioli - Les Belles Lettres - Armoiries de Segurant

Emanuele Arioli, a donc permis de retrouver, au sein des bibliothèques européennes, un de ces preux chevaliers dont la quête du Graal semble à jamais inscrite dans la mémoire populaire. Mais Ségurant, victime d'une malédiction, va se laisser détourner de cette quête, pour poursuivre un dragon chimérique

En partant d'un large extrait découvert dans un manuscrit du XIVe siècle, mais dont la narration des aventures connaît ses premières versions en Italie au XIIIe siècle, Emanuele Arioli, nous invite à suivre un voyage onirique, celui d'une recherche, loin de l'image poussièreuse que certains attribuent au travail en bibliothèque.

Plus que jamais, Ségurant et son double universitaire, viennent nous rappeler combien les aventures de la Table Ronde sont un enchantement, nous ramenant sur les terres d'un idéal courtois et fantasmagorique, voir fantastique. Si Ségurant, apparaît avant tout comme un preux chevalier, dont un dragon maléfique devient la quête, petit à petit ses aventures et celle du chercheur,  que les manuscrits fuyants, voir réduits à quelques pièces en cendres, défient régulièrement, deviennent les miroirs de l'âme.

@ E Arioli - Les Belles Lettres

Durant tout le documentaire, je me suis reconnue alors que j'entreprenais des travaux de recherche à la BNF. Les lumières tamisées, le soin apporté aux manuscrits anciens que l'on feuillette avec beaucoup de précautions, l'étonnement qu'ils peuvent nous procurer et cet étrange sentiment d'ailleurs. Que ce soit dans le documentaire où dans le livre, c'est une invitation aux voyages, loin du réel, que Ségurant nous révèle, un don pour l'extraordinaire, pour le chemin à suivre toujours et qui plus que le dragon est l'objet de la quête.

Alors pour un Noël aux sortilèges envoûtants, afin de maintenir éveiller cette flamme d'une enfance où tout était, comme au moyen-âge possible, Ségurant, le chevalier au dragon, d'Emanuele Arioli, est certainement le meilleur choix.

Les Editions Les Belles Lettres nous offrent l'édition en français  moderne, tandis que les éditions Honoré Champion, celle en ancien français. Un travail particulièrement beau, pour celle des Belles Lettres qui est une édition de poche, avec la reproduction d'enluminures qui accompagneront le lecteur dans l'errance poétique du chevalier et de son barde contemporain. Il existe également une version en bande dessinée chez Dargaud, pour une première initiation, destinée aux adolescents et adultes, et devrait enfin venir une BD destinée à un public plus jeune aux Edtions Seuil Jeunesse. Un seul regret, l'inaccessibilité de l'étude issue de la thèse pour l'instant, en espérant toutefois sa publication et sa plus large diffusion pour des lecteurs qui voudront en savoir toujours plus. Mille e mille volte grazie à Emanuele Arioli pour ce travail étourdissant et d'une telle beauté et poésie.

@ E Arioli - Dargaud

"La route se poursuit sans fin
Qui a commencé à ma porte
Et depuis m'a conduit si loin
Que depuis je la suis où qu'elle m'emporte"
JRR Tolkien

Par Monique Parmentier

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L'extraordinaire histoire de la Villa Alice : le sel de la vie

18 Novembre 2023 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Divers, #Poésie et Littérature

Villa Alice - @ Maële Vincensini - Locus Solus

Il est arrivé. Je l'attendais. Il est arrivé alors que l'automne, sous une pluie froide et continue, vient me conforter dans ce besoin de me blottir, sous un plaid chaud. Il est arrivé et  je l'ai longtemps regardé. Il est si beau. Oui, il est simplement beau. Sur sa reliure, une maison, une belle maison, sobre et ancienne, sans fioriture, juste quelques plantes grimpantes et en pots. Une maison aux volets ouverts, entouré d'un filigrane doré... Comme un livre de contes, la porte fermée, nous invite à l'ouvrir. Irréel, et pourtant si vrai, il attend dans mes mains que je l'ouvre. Il attend que quelqu'un à haute voix disent, "il était une fois". Il fleure bon les livres de mon enfance. Je vais l'ouvrir, et me laisser emporter, par l'histoire que je connais pourtant déjà un tout petit peu, ou que je crois connaître, car je suis Maële Vincensini, son autrice, depuis plusieurs mois sur Instagram.

La villa Alice, ce n'est pas seulement une histoire, une histoire vraie qui ressemble à un conte, c'est un peu aussi, mais pas seulement, la maison de famille dont nous rêvons tous. Mais aurions nous eu le courage, avant d'en faire nôtre, d'en accepter et d'en raconter l'histoire, pour en assurer la transmission de l'âme, de son âme si belle ? Maële et Renaud, ont su la percevoir et réanimer ses braises.

Je ne peux que vous inviter, à vous procurer, L'Extraordinaire histoire de la Villa Alice. Vous y découvrirez combien la mémoire de "ceux qui ne sont rien" est tellement plus belle que la légende dorée de nos stars médiatiques.

Ma maison familiale dans les nuages en Belgique @ MParmentier

Au coeur du Finistère Maële et son mari Renaud, ont découvert leur maison enfouie sous une épaisse végétation, abandonnée, ouverte à tout vent. Ils ont su que cette maison serait la leur, mais on su aussi immédiatement, que son histoire deviendrait la leur, cette ligne conductrice qui permet de s'enraciner. Alice, sa propriétaire, une belle dame très âgée accepta de la leur vendre, à une seule condition, que cette maison soit une maison de famille, une maison pour des enfants et des parents. Elle ne pouvait pas, cette belle dame, si seule, mieux choisir ceux à qui par le biais d'une vente, elle allait transmettre son bien. Au travers des objets si modestes, ceux du quotidien de plusieurs générations, Maële parvient à retrouver l'histoire d'une famille désormais pour partie éteinte, voir ignorante de son passé. Elle transmets ici, à son tour et ce faisant nous réapprend le sens de la mémoire et le sens de cette vie qui passe si vite, oui si vite. Et alors même que la mémoire d'Alice s'éteint progressivement, avant que de disparaître, si bien entourée, grâce à Maële, Renaud et leurs deux enfants, elle retrouve, ses derniers cousins, si lointains dont le temps avait effacé les liens.

Du XIXe siècle à aujourd'hui, cette maison, nous murmure, non seulement l'histoire de famille qui l'a bâti, mais aussi la nôtre. Celle de nos familles, ceux qui ne sont rien et qui furent sacrifiés sur les champs de batailles de la grande boucherie de 14/18, et de la résistance durant la Seconde guerre mondiale et du courage toujours de ceux qui ne sont rien, qui traversent la monstruosité de ces conflits et de leurs drames, et entre ces deux moments où la grande histoire côtoie celle du quotidien, le sel de la vie : les grèves pour survivre, les difficultés du quotidien, mais aussi les joies de l'apprentissage, d'une école apprenante et empathique. Chère Maële, j'ignore si vous me lirez, mais merci (mille e mille volte grazie) de m'avoir donné envie de relire les mémoires de mon grand-père, de regarder les photos anciennes que je détiens, de jeter un coup d'oeil sur un arbre généalogique qui ne me disait plus rien, depuis que mon grand-père, nous a quitté. Oui, Alice avait raison "ça passe si vite". On en prend conscience, un jour, lorsque vient le jour où l’on se demande ce que l'on a fait de tout ce temps.
Alice et Maële, vous invite à vous construire une mémoire, afin de la transmettre. En la lisant, vous retrouverez peut-être ce qui fait tant défaut à notre époque, ce besoin de partager la beauté des coeurs. Grâce à Maële et sa si douce et généreuse famille et à Alice, la flamme devenue si ténue de l'âme de la Villa Alice, a retrouvé sa luminosité. C'est à ranimer cette même flamme qui sommeille en vous que ce livre participera. Ce livre nous parle d'émotions, de rires, de larmes, de joies, de peines et de douleurs. Ce livre est la vie, la vie qui passe si vite. Faites de petits riens et de beaux et parfois terribles souvenirs.

J’aimerais ici remercier, la jeune maison d’édition indépendante bretonne Locus Solus, qui n’a pas hésitée à produire un si beau livre, un livre qui est fait pour faire scintiller votre bibliothèque de rêve. Et lorsque l'on regarde leur catalogue, ont peut y découvrir d'autres merveilles, comme autant de tableaux dans une galerie d'art, prêt à prendre vie lorsque les mots seront portés par la parole des lecteurs. Un travail d'édition remarquable, à suivre pour ensoleiller nos longues journées d'hiver et redonner aux parents le goût de l'histoire contée  avant de s'endormir, aux enfants (petits et ... grands) récalcitrants.

N'hésitez pas, à entreprendre cet étrange et fascinant voyage en si belle compagnie.

@ Maële Vincensini @ Locus Solus

Par Monique Parmentier

 

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Et ses rêves s'inscrivent dans le vent

9 Novembre 2023 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Versailles

@ BNF - Photo Monique Parmentier / Orphée

Il était une fois... Il y a de cela quelques années, j'ai "découvert" un ouvrage, d'une grande beauté, c'est de cet ouvrage dont je vais vous parler ici.

Dans ma bibliothèque idéale, il y a bien d'autres livres illustrés, ou pas, appartenant au monde de l'édition anglaise, sur lesquels, je reviendrais, mais il y en a aussi bien d'autres. A la fin du mois, je vais recevoir, L'extraordinaire histoire de la Villa Alice de Maëlle Vincensini, une histoire merveilleuse, dont je suis sur Instagram, la si belle et douce aventure. Je relis Jane Austen, comme on savoure une tasse de thé au jasmin ou Earl grey... Bien des oeuvres littéraires de France et d'ailleurs, qui m'accompagnent depuis toujours... Mais il y a celui dont la rencontre m'a marqué par son éclat, à tous jamais. Le livret des costumes et décors du Ballet du Roy aux festes de Bacchus.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - l'Automne

Au coeur de Paris, dans l'une des plus anciennes bibliothèque publiques qui soit, se trouve un département, celui de la Réserve des estampes, installé dans ce qu'il reste des appartements du Cardinal Mazarin. Son existence est connue et son accès plutôt réservée à des chercheurs et des passionnés pouvant être introduits. J'étudiais déjà depuis un certain temps les ballets baroques français au Département des Arts du spectacle, lorsqu'un jour où mon esprit vagabondait, est venu à moi, une référence de bas de page, m'y conduisant.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - La fée

Aller à la réserve des Estampes, s'est un peu comme emprunter, une route qui mène au pied de l'arc en ciel. Ayant à coté de mes activités de journaliste bénévole en musique classique (ancienne), un travail alimentaire, auquel je me rendais sans plaisir intellectuel, je l'avoue, chaque visite à la BNF pour parfaire ma culture et écrire des articles qui aient du sens, à toujours représenté une évasion, un voyage vers un autre monde, me permettant d'aborder plus sereinement mon quotidien. La réserve des Estampes, elle est devenue une sorte d'Eden, de jardin extraordinaire. 

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Les 3 Graces

Cette réserve nécessite d'aller plus profondément dans les bâtiments Richelieu, monter un très bel escalier, laisser quasiment toutes ses affaires dans des casiers (un crayon, quelques feuilles de papier, sa carte d'identité, son appareil photo, voilà tout ce que l'on a le droit d'emmener en salle), franchir deux portes blindées, arriver dans un sas, impressionnée par ce dispositif et apercevoir venant vers vous, la conservatrice en chef du département, tout sourire.  Je venais d'apercevoir des noms sur des boîtes me laissant ébahie comme Ali baba, devant les trésors de la caverne des 40 voleurs. "Oh, c'est magnifique n'est-ce pas, tous ces noms sur ces boîtes ?"... Que dire, si ce n'est "Oh oui !" : Rembrandt, Poussin, Dürer et bien d'autres.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Le sommeil

Ayant été introduite par mail, par une amie conservatrice dans un autre département, elle connaissait les motifs de ma visite. Elle m'installa alors sur une grande table, avec un lutrin et un lourd tissu rouge.

J'ignore combien de temps dura mon attente, peu car chaque séance ne pouvait durer que deux heures, les mardi et jeudi matin. Temps que j'utilisai pour laisser mon regard vagabonder et observer les lieux magnifiques et tous ces noms magiques sur des boîtes.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - La reliure

Deux très longs livrets me furent d'abord emmener, que j'ai déjà évoqué ici, concernant des maquettes des costumes de ballet de Louis XIII, puis celui dont la référence m'avait attiré à la Réserve. Un ouvrage magnifiquement relié, sentant merveilleusement bon. Je mis certainement quelques minutes, après l'avoir déposé, bien à plat, à l'ouvrir, tant la reliure était déjà en soi une merveille. Ce que l'ouverture de l'ouvrage allait me révéler, reste pour moi, un inoubliable souvenir.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Graffitis

Le ballet des festes de Bacchus, fut donné en 1651, les 2 et 4 mai, en pleine Fronde, à Paris, au Palais Royal, anciennement Cardinal, donc rue de Richelieu. Ce magnifique livret qui aurait du rentrer dans les collections royales comme un cadeau de son commanditaire, organisateur des plaisirs du Roy, Louis Hesselin (Treslon-Cauchon) (1602 - 1662), dont les armoiries figurent sur la reliure, ne rentra dans les collections nationales qu'en 1805 à l'occasion d'une vente. Son histoire connue permet de retracer son chemin.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Détail costume filigrané d'argent

Toutefois bien des "mystères" entourent, ce livret où ne figurent que les dessins des costumes et décors. Pourquoi est-il inachevé ? Est-ce pour cette raison qu'il resta dans le patrimoine familial, hérité par un neveu, dont les héritiers finirent par le vendre ? Qui est (ou sont les auteurs des magnifiques illustrations (maquettes)) ? Qui a réalisé les graffitis que l'on trouve à la fin du volume et qui semblent aussi anciens que l'ouvrage ? Les costumes authentiques furent -ils aussi magnifiques que leur reproduction où l'auteur, les a -t-il en fait sublimés par l'imagination ? Si certains ne présentaient pas de difficultés particulières à réaliser en un temps très courts, d'autres ont dû demander aux artisans (tailleurs, brodeurs, orfèvres), un travail extrêmement ardu.

@BNF-Photo M Parmentier-Détail costumes Grâces filigrané or et argent

Pour compléter la connaissance de ce livret, on dispose dans les collections de la BNF de la musique et du texte où est indiqué la distribution des rôles. Les vers en sont attribués à Isaac de Benserade (1613 - 1691), mais cette attribution est aujourd'hui encore contestée, alors qu'elle remonte au récit qu'en fit Loret dans La gazette, à l'époque de sa création.

@BNF-Photo M Parmentier - Il cherche la cadence, détail

Le synopsys de ce ballet, en fait une mascarade, dans l'esprit des ballets de Louis XIII, est d'une grande simplicité, mais totalement baroque dans l'esprit. Les rôles en ont été attribués, tout à la fois, à de grands seigneurs, à des valets du Roi et à des comédiens professionnels. Le Roi lui même en fut l'un des acteurs. Mais contrairement à ce que j'ai parfois lu, il n'y interpréta pas Apollon (le Soleil), rôle attribué à un acteur professionnel, le Sieur Cabou. Le jeune souverain ne deviendra la Roi Soleil, que deux ans, plus tard en 1653, à l'occasion du... Ballet de la nuit. Inaugurant son règne absolu, dont disparaîtra la fantaisie baroque.

@BNF-Photo M Parmentier-Détail Trophée de musique

L'attribution des dessins, qui elle aussi est parfois contestée, revient à Henry de Gissey (1621 - 1673). Que ce soit pour les vers et pour les dessins, il s'agit en fait d'un report d'attributions. Puisque concernant le Ballet de la Nuit, elles sont certaines et qu'elles présentent ici des caractères semblables. Mais à moins de découvrir un jour un courrier émanant de Louis Hesselin, rien ne pourra les confirmer ou les infirmer. Bien d'autres noms ont été avancés, et un auteur inconnu, n'est pas improbable.

@BNF-Photo M Parmentier-Fleuve Oubly

Réaliser sans doute, en collaboration avec Giacomo Torelli (1608-1678) pour les décors, les dessins sur un format 33,4x 22,1 cm, aquarellés rehaussés d'or et ou d'argent, gouaches et encre et sont pour la plupart inachevés, mais tous d'une grande beauté, parfois infiniment poétiques (tels l'automne, le sommeil, Orphée, le fleuve Oubly, les fées...). Bien que représentés une seule fois, certains personnages dans le ballet, étaient multiples, tels les muses, les bacchantes, les fées...).

@BNF-Photo M Parmentier-Détail Apollon

Je ne m'autorise à partager ici que quelques photos, dont des détails, la BNF a désormais mis en ligne cet ouvrage sur Gallica), mais je peux vous l'assurer, ces dessins, sont porteurs d'une émotion indicible, tant leur grâce ineffable, est celle des contes que l'on imagine lire à la veillée. Cette élégance quasi surnaturelle, qui même sur des personnages aussi inattendus et farfelus que "Je cherche la cadence", les gladiateurs, les trophées de la musique, sont si évocatrices des mystères dionysiaques, thématique pour le moins triviale d'ailleurs dans le texte, du ballet. Uniquement interprétés par des hommes, certains participants portaient des masques, parfois à peine discernables sur les dessins, leurs costumes donnant le sentiment d'être fait en des tissus luxuriants et fastueux. Fronde ou pas, la cour offrait à son jeune roi des distractions créant un sentiment d'irréalité du monde extérieur. Sentiment que j'ai souvent rencontré à Versailles, mais aussi dans le monde de la culture. Entrer à la Réserve des estampes, passer des heures en compagnie de tels chefs-d'oeuvre, dans un environnement aussi paisible, proche du recueillement, m'a toujours rendu le retour à mon quotidien, extrêmement difficile.

@BNF-Photo M Parmentier-Trophée Musique

Si les costumes et les décors sont oniriques, le texte accompagnant chaque scène et entrée, révèlent donc une certaine canaillerie extravagante, à la poésie loufoque et non dénuée d'un certain charme.

@BNF-P Monique Parmentier-Photo prise de dos du Sommeil

"Sçachez qu'on doit aymer alors qu'on eft aymé
Et quand par vos faueurs (faveurs) mes voeux Seroient contens
Vous ne Sçauriez eftre blafmées
De vous accommodez au Temps..."

"Attraper la cadence eft un pénible ouvrage
Je perds en cette enquête & ma peine & mes pas..."

J'aime l'orthographe, malheureusement je ne dispose pas ici des bonnes polices, aux caractères évocateurs de cette époque où la langue française se cherchait encore, et où la prononciation reconstituée par Benjamin Lazar, dans certains spectacles du Poème harmonique, laisse d'ailleurs éclore le verbe en toute liberté.

@BNF-Photo M Parmentier

Après une introduction prêchant l'abstinence comme une grande vertu, l'ensemble des personnages en défilant, vas donc à contrepied défendre, le jeu, l'amour, le vin, la goinfrerie... Les vices comme un art de vivre. Les rêves n'y sont que des mensonges, à moins que ce ne soit celui qui l'affirme qui mente aux spectateurs. Jeu baroque ou la mort n'est pas plus qu'un songe. Les personnages les plus évocateurs de poésie ou de noblesse sont ridiculisés par Bacchus et ceux qui le servent. Le Sommeil lui - même avoue ne devoir son succès auprès des belles dames, qu'à la faveur du pavot, dont il abuse. Le jeune roi, interprète des personnages sans noblesse (une Grace, une bacchante, un homme de glace ou plutôt un "glacé", un filou, un titan, une muse, et ce n'est pas Louis XIV qui conclut dans le rôle conclusif ce ballet, mais un certain comte de Mauleurier, d'après le livret, en fait Edouard - François Colbert, comte de Maulevrier (1634-1693), père du fameux ministre du Roi Soleil.

@BNF - Photo M Parmentier

La musique, parce qu'il y en avait une, fut éditée par Philidor Laisnée, longtemps après, en 1690. Elle fut composée par François de Chancy (chanteur, luthiste et compositeur actif dans la première moitié du XVIIe siècle, mort en 1656), le plus connu de tous ; Louis de Mollier (vers 1615 - 1688) ; Michel Mazuel (1603 - 1676) et un certain Verpré dont le nom n'apparait que dans l'édition de Philidor Laisnée, à l'occasion de ce ballet.

@BNF-Photo M. Parmentier

Des décors furent donc installés pour accompagner certaines des scènes, attribués à Torelli. Malgré l'oxydation des blancs de plomb, ils en conservent toute leur force. Les moyens théâtraux mis en oeuvre semblent tout aussi surprenant par leur grandeur que les costumes.

@BNF-Photo M Parmentier

Avoir passé, en compagnie de ce livret, du temps en tête à tête, dans le silence de la salle de lecture, ne m'a laissé que des souvenirs magiques. Si j'ai mis du temps, ne disposant pas d'autant de moyens que des historiens professionnels pour restituer son histoire, il reste des questions auxquelles probablement nul ne saura répondre. Les mystères qui voilent encore la mémoire liée à l'évènement, à la création de ce spectacle, puis du livret et aux chemins empruntés par ce dernier pour nous parvenir, en ces lieux et ces collections, ajoutent une touche de fantasmagorie à ce livre unique. Un livre de rêves, fait pour rêver, oublier, s'oublier, partir, voyager, au -delà des horizons du quotidien. En conservant sa part de mystère, il porte en lui, ce qui contribue à souligner, l'objet baroque dans toute son étrangeté. Il nous invite à inventer, une autre histoire, celle que nous souhaitons en le feuilletant, qu'il nous raconte.

Par Monique Parmentier

@BNF-Photo Monique Parmentier-Bacchus

 

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