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Le blog de Susanna Huygens
Articles récents

Un carnaval de lumière

18 Août 2011 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

Carnaval-Venise.jpgLe Carnaval de Venise - André Campra

Le Concert Spirituel - Hervé Niquet

Tandis que la cour à Versailles sombre en cette fin de règne du Roi Soleil dans la dévotion et une profonde tristesse, un musicien venant d’Aix en Provence, André Campra, crée un nouveau genre musical, l’opéra-ballet qui fait les beaux jours de la Capitale et de l’Académie Royale. Ce n’est que sous la Régence qu’il connut une reconnaissance officielle mais dès la toute fin du règne de Louis XIV Campra offrit à la postérité ses plus belles œuvres pour le théâtre.
Si c’est avec l’Europe Galante, plus connu aujourd’hui qu’il signe la naissance de ce nouveau genre en 1697, le Carnaval de Venise qu’il compose deux ans après et qui fait l’objet de ce CD est certainement l’œuvre qui reflète le mieux le renouveau du goût italien, aussi bien du point de vue dramatique que musical. Hervé Niquet et le Concert Spirituel viennent avec virtuosité combler un vide en nous permettant de redécouvrir un véritable joyau de la musique française.
Le synopsis de cet opéra-ballet, est en fait une mise en abime du théâtre. Ses personnages, Isabelle, Léonore, Léandre, Rodolphe -issus du théâtre italien- s’aiment et se déchirent, sans que jamais le drame ne prenne le dessus car on est en plein carnaval et tout ici n’est que jeu de masques et de miroirs
Pour fuir leur rivaux, Isabelle et Léandre pénètre dans un théâtre où se joue l’Orfeo nell’inferi auquel à leur côté nous assistons, tandis qu’avant et après se joue leur histoire.
Entre commedia dell’arte et opéra italien, la danse rythme le carnaval qui bat son plein dans les rues et vient sans cesse interrompre l’action.
Hervé Niquet entraîne le Concert Spirituel et les chanteurs avec un enthousiasme fougueux dans des tempi endiablés jusqu’à l’ivresse. Sous sa direction précise et enflammée, le Carnaval de Venise est une fête multicolore. Dans cette œuvre ambigüe, aux lisières du drame et de la fête, musiciens et chanteurs, nous font plonger au cœur de l’illusion. Ils nous rendent avec vitalité la fantaisie des jeux de masques et avec malice jouent la tragédie pour mieux la déjouer d’une pirouette.
Campra ne pouvait pas mieux être servi que par les interprètes réunis ici. Trois basses magnifiques tiennent les rôles principaux masculins. Alain Buet, fait de Léandre, l’amant comblé, un personnage débonnaire et courtois. Dans le Trio italien, Luci belle dormite son timbre se fait aussi envoutant que la flûte qui l’accompagne pour mieux ensorceler le sommeil. Andrew Foster-Williams campe un Rodolphe à la violence théâtrale. Luigi De Donato est lui un Plutone au timbre aussi sombre que les enfers.
Parmi les autres interprètes masculins, on retiendra tout particulièrement le haute-contre Mathias Vidal. Il interprète plusieurs rôles en caractérisant chacun d’entre eux avec brio. Il se travestit du rire aux larmes avec un plaisir communiquant. Dans le rôle d’Orfeo, son phrasé nous charme autant que Pluton dans le récitatif accompagné Dominator dell’ombre, et l’enivrement de ses vocalises dans son aria Vittoria, mio cuore, fait d’Orphée un personnage de comédie.
La distribution féminine est d’une luminosité méditerranéenne. Salomé Haller, séduit dans le rôle d’Isabelle. Son timbre rayonnant et sa diction parfaite, donne au personnage ce mélange de légèreté et de fragilité idéal pour son personnage. Dans l’air «Mes yeux fermez vous à jamais, elle seule parvient à suspendre la fête, le temps d’un de ces rares instants auquel on peut s’abandonner. La mezzo italienne Marina De Liso, donne aux couleurs tragiques de la jalouse Léonore, la violence du dépit avec un art consommé de la rouerie féminine. Sara Tynan est une tendre Euridice, au timbre d’une clarté aussi limpide que l’onde du clavecin dans le récitatif accompagné Lungi da me, martiri. L’insolence fluide de ses vocalises dans l’aria Per piace al mio ben est un moment de pur enchantement. Blandine Staskiewicz par la rondeur de son timbre est Un’ombra Fortunata ensorcelante. Les chœurs du Concert Spirituel et les chantres du Cmbv apportent une dynamique et une splendeur festive et chamarrée.
La prise de son ample et naturelle ne peut qu’être louée. Le magnifique livret qui accompagne cet album est à lui seul une petite merveille à savourer sans modération. Ces trois auteurs nous initient avec ferveur et rigueur, au monde de Campra.

Le Carnaval personnage à part entière vous entraîne ici au cœur de la fête, de l’autre côté des miroirs… dans une Venise aux couleurs de Tiepolo. La fête bat son plein et vous entraîne dans la danse, au cœur des théâtres, ou la tragédie n’est jamais qu’un jeu.

Monique Parmentier

2 CD Glossa

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Antoine Dauvergne

12 Août 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Dossiers Musique

Chaque automne, le Cmbv consacre sa saison a un compositeur Français, parfois réellement méconnu du grand public. Antoine Dauvergne, qui n'est resté dans les mémoires que grâce aux Troqueurs, un des tout premiers opéras comiques,  va ainsi revenir de loin.

 

Il n'existe de lui qu'un portrait présumé. De son vivant, il avait déjà la réputation d'être poursuivi par la malchance. 

 

Portrait-presume-de-Dauvergne_article.jpg 

 

Parmi les oeuvres présentées, nous redécouvrirons l'Hercule mourant :

 

Hercule_mourant_-Jacques-Gabriel-Huquier-Fils_Harvey_Theatr.jpg

 

et la Vénitienne :

 

La-Venitienne_Frantz-Ertinger_Taylor_institution_libraray.jpg

 

Ces deux gravures sont conservées pour l'une des les collections du Harvey Theatre à New York et l'autre à Oxford à la  Taylor_institution_library

 

De belles redécouvertes s'annoncent donc durant la saison d'Automne à Versailles.

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Interview Amandine Beyer

11 Août 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Interview

AmandineSable.jpg

 

Vous venez aux Préludes du Festival de Sablé avec les Quatre saisons de Vivaldi, une œuvre considérée comme archi connue. L’est-elle tant que ça ?

 

            Avec les musiciens de Gli Incogniti, nous pensons que le fait qu’une œuvre soit très connue provoque l’envie de venir au concert. Nous en profitons pour la marier avec d’autres pages moins connues. Avec les Quatre saisons, on s’aperçoit que les gens en restent trop souvent aux premiers thèmes, finalement, ou bien à des petits passages que l’on a entendus dans les sonneries de téléphone. Alors qu’il y a plein d’instants délicieux, dramatiques ou merveilleux dont les gens ne se rappellent plus. Pour nous c’est une occasion de la faire encore entendre, et par son biais de faire découvrir d’autres pièces un peu défavorisées du répertoire.

 

Pour préparer ses Quatre saisons, sur quelles sources vous êtes vous appuyées ?

 

            Nous avons travaillé sur l’édition Le Cène, une des sources principales des Quatre saisons. Nous l’avons mise en regard avec une édition d’un manuscrit de Manchester de la main d’un copiste inconnu. On s’aperçoit que très souvent, quand on pense composition, ou compositeur d’œuvres emblématiques, on a l’impression que c’est une chose vraiment sacrée, vraiment définie, dont chaque note est là pour l’éternité. En fait, et c’est vraiment très particulier au répertoire baroque, toute œuvre est en devenir. Il y a une sorte de liberté de composition à l’intérieur d’une même idée, mais les notes, les altérations peuvent parfois changer, des indications agogiques ou des indications d’articulations peuvent varier d’une version écrite à l’autre. Là-dessus, vient s’ajouter la liberté d’interprétation, de rubato, de jouer avec le temps, de jouer avec l’ornementation ou l’instrumentation. Tout cela suscite un nombre de lectures possibles infini.

 

 

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Comment abordez-vous ces libertés, le travail d’ornementation ?

 

            L’ornementation est quelque chose de vraiment très personnel. Je suis également professeur et, comme d’autres violonistes je ressens toujours un sentiment de panique lorsqu’il me faut faire quelque chose qui n’est pas écrit. Peut-être parce que j’ai reçu une formation classique. J’ai donc élaboré ma propre technique pour y parvenir. J’imagine, j’essaie de m’approprier le texte du musicien, et ensuite, puisque j’ai la base, j’ajoute mon langage. On peut ajouter des décalages, par exemple. Lorsque l’on dit ornementation, les gens pensent à plein de notes rajoutées. On peut faire cela, bien sûr, mais on peut aussi toucher aux nuances, aux articulations, au temps. Avec Gli Incogniti, nous jouons beaucoup sur le temps. Dans cet ensemble, nous sommes un par partie. Chacun est donc responsable de sa voix et la mène où il veut. L’ornementation est toujours une réaction au partenaire ou une réaction à l’existant pour faire quelque chose de nouveau. C’est un jeu entre nous, la partition et le temps réel, le temps du concert.

 

Pourquoi avez-vous créé cet ensemble ?

 

            Au départ, j’avais envie de retravailler avec Anna Fontana, la claveciniste du groupe, avec qui j’avais étudié à Bâle. On s’était perdu de vue pendant quelque temps et, un jour, on s’est retrouvé en Italie. On a décidé que c’était vraiment trop bête de ne pas jouer ensemble et créé un nouvel ensemble : Gli Incogniti. Nous nous sommes entourées de beaucoup d’Italiens (en particulier pour le continuo) et aussi de musiciens venant d’ensembles où j’avais joué et avec lesquels je me sentais des affinités. J’avais vraiment envie qu’on se retrouve tous.

 

Comment construisez-vous vos programmes ?

 

            Par des canaux très différents. J’avais en tête Matteis depuis mes études à Bâle, non seulement pour sa musique mais aussi pour le graphisme : le fac-simile, dont j’ai une copie, est très joli, son écriture est visuellement magnifique, très petite, toute resserrée, fine et en même temps assez libre et toujours claire. Elle me plaisait. J’y trouvais une adéquation avec sa musique. Avant de faire le disque, je ne connaissais que deux pièces de Matteis. C’est tout un univers.  Il y a un vrai travail musicologique à faire, pour essayer de retrouver l’histoire de ces musiciens inconnus, qui ne le sont que parce que, bien des fois, leur production et leur biographie ne nous sont arrivées que par fragments. Comme on a peu de musique et qu’on ne sait quasiment rien d’eux, cela ne favorise pas la diffusion de leur œuvre. Dans notre monde moderne, il faut tellement faire parler de soi que de ne pouvoir rien dire sur un musicien est souvent un handicap, ne serait-ce que pour défendre un projet. Ce qu’il y a de bien pour Matteis, c’est qu’Hélène Schmitt a sorti un disque sur le même musicien à peu près en même temps que moi : ainsi avons-nous attiré l’attention sur lui.

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Le Jeune violoniste par Bartolomeo CAVAROZZI - Musée du Louvre

 

Le secret ne favorise-t-il pas parfois l’envie de découvrir ?

 

            Oui, pour les musiciens et le public, je le crois vraiment. Il nous fallait juste chercher quelque chose comme point de départ. Dans le cas de Matteis, c’est, en fait, son destin quasi inconnu qui l’a été. C’est quelqu’un de tellement spécial qu’à la fin cette idée de secret valorise sa musique. Il y a une totale adéquation entre ce qu’il vécu vraisemblablement et ce qu’il écrivit. Du fait qu’il était violoniste et guitariste, cela passe directement dans l’instrument. J’adore ce musicien.

 

Votre prochain CD sera consacré à Rosenmüller, un programme que vous donniez l’été dernier à Sablé. Encore un musicien qui vous permet de montrer ce fil de la vie si mélancolique. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

 

            Rosenmüller, c’est vraiment différent. J’en ai joué beaucoup avec la Fenice et d’autres ensembles. C’est un compositeur que j’aime depuis toujours. Ecouter, jouer, penser, rêver son univers sonore me plait. Sa musique m’inspire beaucoup. Je connaissais bien sa production instrumentale, riche et assez publiée. Lui aussi possédait une graphie fort belle que le magnifique fac-similé permet d’apprécier. En montant ce nouveau projet, on s’est aperçu que Rosenmüller était surtout un compositeur de musique vocale que je n’avais jamais jouée. En fait, je pars souvent de choses que j’ai eu l’occasion de connaître, de toucher. Et là, par hasard, on s’est lancé dans la lecture de plusieurs motets. On en donna quelques-uns en concert, et quelques-uns sur le disque, mais il y en a énormément. J’ai pensé à deux chanteurs. D’abord Raquel Anduezza, un soprano espagnol avec qui nous avons joué ce programme à Sablé l’été dernier. Je voulais aussi une seconde voix, puisqu’il y a des motets à plusieurs voix (soprano, ténor, basse), une autre couleur vocale. Pensant à Wolf Matthias Friedrich, un chanteur allemand que j’apprécie infiniment, je découvre en l’appelant qu’il est né presque au même endroit où l’on situe la naissance de Rosenmüller ! Dans son village, Wolf a organisé pendant plusieurs années un festival Rosenmüller. Il est en contact avec un musicologue qui s’attèle à l’édition complète et révisée de toute sa musique, conservée à la bibliothèque de Berlin. Tout un jeu de circonstances a donc favorisé le projet. Les deux voix se marient parfaitement alors que ces chanteurs ne se connaissaient pas du tout. Ils ont des duos magnifiques. Au-delà de ces petites satisfactions, j’espère avant tout que le public ne boudera pas son plaisir.

 

Rosenmuller_Amandine.jpg

En doutez-vous ?

 

            On ne sait pas si les choses vont vraiment passer ou pas. Avec Matteis, je croyais que c’était vraiment sûr. Avec Rosenmüller, comme il est un peu plus connu, même si on ne le connaît pas forcément autant qu’on se l’imagine, le public pourrait ne pas se laisser tenter par la découverte.

 

Dans ces motets, quelles particularités pourraient les convaincre ?

 

            En microfilms, les manuscrits sont très difficiles à lire. C’est parfois mal écrit, il y a beaucoup d’erreurs. Parfois, le copiste a oublié cinq mesures et l’on s’interroge : est-ce vraiment Rosenmüller qui aurait pensé cette note bizarre, vient-elle vraiment de lui ou est-ce une faute des copistes ? Ces questions mettent parfois des barrières à l’expression immédiate. Je n’exprime que mon expérience. Peut-être certains connaissent-ils parfaitement ses motets, mais, pour moi et certainement pour beaucoup de gens qui découvrent cette musique, c’est vraiment quelque chose de très spécial à écouter.

 

De Vivaldi à Matteis et Rosenmüller, ce sont tous des personnages fantasques ou mystérieux, mais aussi très proches de nous ; cela ne contribue-t-il pas à la séduction du public ?

 

            Oui, je pense. Aujourd’hui, l’on dit baroque, mais à l’époque ils n’étaient pas conscient de l’être – savons-nous vraiment ce que cela veut dire ? Monteverdi et Rosenmüller ne se pensait pas en musiciens baroques. Ils répondaient à des commandes et devaient aussi manger. En même temps, ils avaient des tas de chose à dire et une inspiration débordante. Ce que j’aime beaucoup dans cette musique, c’est qu’en général elle nous vient de gens qui jouaient, qui mettaient la main à la pâte.

 

Certains, comme Matteis, développaient-ils une technique particulière ?

 

            En effet, c’est l’un des côtés intéressant d’un projet. Pour Matteis, cela m’a posé pas mal de problèmes. Je pense que Matteis tenait son violon d’une manière particulière - pratiquement au-dessus de la ceinture, comme une tenue de musique populaire. Cela devait donner un très beau résultat. Mais pour des questions d’anatomie féminine, avec moi, ça ne marche pas très bien ! Je n’ai pas le bras assez long. En revanche, cela montre paradoxalement que, malgré une position basse et la main qui reste souvent en première position, il n'hésitait pas à aller jusqu'en troisième et quatrième. De plus, c'est souvent rapide, il utilise  volontiers des doubles cordes : rien qui soit de tout repos. C’était certainement un musicien décontracté avec une technique remarquable, vraiment fort, je pense. Si je n’arrive pas à reproduire exactement sa technique, j’ai essayé de me déstabiliser moi-même en mettant le violon beaucoup plus bas. C’était vraiment un gros effort. Quelques violonistes arrivent à jouer très bas, mais ce ne sont pas ceux que l’on voit le plus souvent. Des exceptions. Je ne dis pas non plus qu’il serait mal de jouer en haut pour Matteis. Tout est possible. Ce sont des choix personnels. Il ne s’agit pas de faire cela pour se donner un genre. C’est une proposition, une idée. J’y entends un son spécial. Il nous arrive de le faire à deux violons et Alba, notre violoniste, n’utilise pas la même technique : elle place le violon entre les deux seins, ce que je n’arrive pas à faire.

 

Outre l’archet, qu’est-ce qui, pour vous, fait vraiment la différence entre le violon baroque et le violon classique ?

 

archet entier XVII

 

            C’est surtout l’archet, mais il faut faire la différence entre ce qui est technique ou organologique (ce qui est vraiment propre à l’instrument) et la pensée de l’instrumentiste. Je connais des artistes qui jouent baroque avec des instruments modernes avec une attitude vraiment baroque, ou qui mettent des cordes en boyaux sur des instruments modernes. Je pense qu’à l’heure actuelle, on ne peut pas être intégriste. On peut évidemment tenter de jouer les irréductibles Gaulois, mais je viens d’une famille de musiciens que j’aime bien, celle de Chiara Banchini, mon professeur. De Kuijken, elle tient sa technique qui permet un son très particulier. Pour le public, c’est avant tout une question de goût.

 

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En quoi vous sentez-vous une violoniste baroque ?

 

            Je me sens plutôt une violoniste qu’une violoniste baroque. Et j’essaie de me sentir à l’aise dans plusieurs répertoires. Je fis beaucoup de musique romantique et autant de musique médiévale parce que je pratiquais la flûte à bec. Il me faut savoir ce qui s’est passé avant et ce qui s’est passé après. Savoir d’où cela vient et où cela va. Il suffit de chercher. Il est vrai que mon histoire et les aléas de la vie m’ont fixé dans cette période baroque, car c’est une période phare pour mon instrument. Je n’aurais certes pas donnée toute ma vie à jouer de la vièle, dont le répertoire est plus limité, bien que j’aime cet instrument. Mais ce n’est pas ma spécialité. Tandis que le violon qui, à partir de la fin du XVIe au XVIIIe siècle, a vraiment connu une belle évolution, correspond plus à ma personnalité.

 

Quelle influence Chiara Banchini eut-elle sur vous?

 

            Quand je suis arrivée à Bâle, j’ai tout découvert de la musique ancienne. En fait, je la connaissais sans le savoir, grâce à la flûte à bec pratiquée depuis l’enfance. Je jouais Telemann, Corelli, ainsi que de la musique contemporaine, d’ailleurs. La flûte n’ayant pas de répertoire romantique, on cherche dans tout le reste. La flûte, c’est la Renaissance, le baroque et l’aujourd’hui. Tout ce que je travaillais de quatre à vingt ans, en marge du violon, sans savoir que c’était de la musique ancienne. Je suis ravie de n’avoir pas connu trop tôt ces catégories. A Bâle, avec Chiara, prenant conscience de ce qu’était vraiment la musique baroque, j’ai appliqué au violon ce que j’avais touché par un autre instrument. Elle m’ouvrit les yeux sur ce qui fait la principale qualité du violoniste baroque : le violon parlé, le violon qui exprime les sentiments, les affects, comme la voix. C’est vraiment avec Chiara que j’ai découvert cela.

 

Votre violon est-il un instrument ancien ?

 

            C’est une copie. Je n’ai pas les moyens de m’offrir un Stradivarius. A l’époque, les gens ne jouaient pas des violons de trois cent ans mais ceux qu’on venait de réaliser. Né en 1996, mon instrument n’est donc absolument pas illégitime. J’ai énormément confiance en mon luthier qui m’a donné un instrument que j’adore.

 

Outre l’enseignement, vous menez des actions spécifiques auprès d’enfants ou de personnes souffrantes ou en difficultés, comme à Sablé. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

 

            Il nous est arrivé de participer à des actions pédagogiques auprès d’enfants. Ici, en milieu hospitalier, c’est une première pour nous. Jean-Bernard Meunier, le directeur du festival de Sablé, m’en a parlé et ça nous intéressa. Cette expérience me semble positive des deux côtés. Nous sommes allés dans quatre instituts. Un institut médico-éducatif, avec des enfants de quatre à seize ans connaissant divers problèmes de comportement ou des handicaps ; puis une maison accueillant des schizophrènes - présents au concert donné dans le cadre des Préludes - ; une maison de retraite et un autre institut avec des personnes handicapées. La plupart du temps, les réponses furent positives et surprenantes par le degré de participation et de réaction de nos auditeurs. Cela a donné lieu à beaucoup de moments particuliers autant qu’émouvants, bien au-delà de tout ce que nous avions imaginé. Les gens se sont vraiment intéressés à ce que nous leur proposions et demandèrent d’assister au concert. C’était là le but de la démarche : aller vers eux afin qu’ils viennent ensuite vers nous. Je ne suis pas musicothérapeute ; mon métier, c’est d’être musicienne, de faire des concerts. Par cette démarche, nous avons souhaité apporter et porter la musique autrement qu’au concert, mais dans une sorte de contexte de spectacle. J’étais vraiment heureuse de faire cela.

 

Comment vous y êtes-vous pris ?

 

            Nous étions trois, deux violons et le théorbe ; la seconde violoniste chantait. On a présenté ce qu’on fait d’habitude, mais avec des composantes spécifiques : quelques explications et beaucoup de danses, avec la participation de tous, y compris le personnel. On a constitué plusieurs petites formations instrumentales et choisi un programme de pièces complètement inconnues pour eux, très courtes, avec des tempi variés. On a joué Matteis, Bonporti, Marini et Kasperger. On demandait aux enfants de fermer les yeux et de faire des mouvements calmes, très doux, ou bien on les faisait vraiment participer à la danse. C’était amusant et beau de voir tout le monde danser.

 

Quels sont vos projets ?

 

            Des motets et de la musique instrumentale de Bonporti que l’on fera l’été prochain à Sablé. Encore un compositeur que l’on croit connaître sans le connaître vraiment. J’ai fait le concours de musique de chambre de Rovereto, en Italie, avec cette musique que j’ai découverte alors, lorsque Chiara enregistrait les Inventions. Ce fut un grand choc pour beaucoup de violonistes, moi la première ! C’est vraiment de la très belle musique. Dans cette aventure, Raquel Anduezza nous rejoint une nouvelle fois. Après Sablé, je vais essayer d’enregistrer les Sonates et partita de Bach. Puis on se lancera dans un programme assez ambitieux, si on trouve les financements et les musiciens (cela demande vingt-deux instrumentistes…) avec des Concerti pour plusieurs solistes de Vivaldi.

 

Propos recueillis en mai 2010 pas Monique Parmentier

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Vita Humana Suite

13 Mai 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Dossiers Musique

Si la Vita Humana n'est pas qu'une simple allégorie de la Vie Humaine et de ses vicissitudes... De ce temps qui coule inexorablement... et cache peut être un de "ces secrets", comme le XVIIe siècle les aimait (un peu comme ses meubles "à secret"), c'est parce qu'un homme poursuivait une idée, une passion que ses charges, sa propre vie ne pouvait en un siècle de Contre - Réforme, lui permettre d'afficher. Cet homme est le Cardinal Giulio Rospigliosi.

 

Rospigliosi.jpg

 

Carlo Maratta @ DR

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La Vita Humana

3 Mai 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Dossiers Musique

"«Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses, et qui, foulant aux pieds toute crainte, méprise l'inexorable destin et les menaces du cupide Achéron !» Virgile

 

Celle que je recherche est née dans la ville éternelle. Elle due y croiser Nicolas Poussin (1594-1665) qui vécut une grande partie de sa vie à Rome. Et certains personnages liés à ce tableau.

 

Parmi les tableaux de ce peintre que j'aime tout particulièrement on trouve la Vita Humana. Ce tableau est conservé à la Wallace Collection à Londres, ainsi que son ébauche qui nous en apprend beaucoup sur la manière de peindre de Nicolas Poussin... Commandé par le même Cardinal Giulio Rospigliosi qui devait écrire une quinzaine d'années plus tard un opéra sacré sous se même titre.

   

Vita humana Nicolas poussin

 

Ce tableau dont le titre est plus précisément "Il ballo della vita humana"  fut peint en 1638 tandis que Marco Marazzoli mis en musique le livret de l'opéra au tout début de la seconde partie du XVIIe siècle. Cet opéra fut représenté au Palais Barberini en 1656.

 

Le commanditaire du tableau suggéra à Poussin le thème de la danse. Ce dernier est d'abord une allégorie qui exprime une conception circulaire du temps cosmique. Les 4 personnages qui forment le cercle sont des allégories représentant les conditions de l'homme, la Pauvreté, puis la Vie Laborieuse qui engendre la Richesse qui entraînée par les tourbillons de la Luxure retrouve la Pauvreté.

L'enfant qui tient une clepsydre, en bas à droite, représente l'écoulement inexorable du temps et le cours inéluctable du destin humain. Le vieillard à demi nu et ailé représente le Temps qui marque le rythme circulaire de l'existence au son de Lyre.

Dans le ciel le Char d'Apollon est précédé de l'Aurore et accompagné des Heures.

Le therme sur la gauche représente Janus, le dieu aux deux visages, un vieillard tourné vers le passé et un jeune homme tourné vers l'avenir. Enfin l'enfant à ses pieds fait des bulles de savon avec une paille illustrant la fragilité et l'aspect passager de la vie terrestre.

 

Une quinzaine d''année plus tard donc le Cardinal Rospigliosi (qui devint pape le 20 juin 1667 sous le nom de Clément IX) écrivit le livret d'un opéra sacré sous ce même titre ou presque La Vita humana overo il Trionfo della pieta, dédicacé à la Reine Christine de Suède.

Œuvre allégorique la parodie spirituelle qu'il fit mettre en musique par Marco Marazzoli détourne les codes du théâtre interdit dans la ville éternelle à des fins de prosélytisme. 

 

Si la production du Poème Harmonique n'a malheureusement pas pu faire l'objet d'un DVD, cette œuvre mérite vraiment toute l'attention que cet ensemble lui a portée.

Vita-Humana-Dumestre1.jpg

Copyright @ DR 

 

Autour de la Vita Humana, l'innocence (L'innocenza) et la Faute (la Copa), cherchent à séduire cette vie humaine en proie aux doutes. Cette dernière hésite  sur la voie à suivre et  ne demande qu'à succomber aux plaisirs mais est consciente de leur côté éphémère et vain. Les Vices et les Vertus livrent entre elles un combat, parodie des scènes de combat que l'on trouvait dans les opéras vénitiens, tout comme les scènes de séduction. Le Plaisir et l'Entendement tentent par tous les moyens de venir soutenir la Faute et l'Innocence dans leur dispute pour convertir ou pervertir la Vita Humana.

Les personnages sensés personnifier le mal ne sont nullement manichéens. Ils nous séduisent spectateurs du XXIe siècle par la douleur qui les poussent à agir. Cette douleur n'est-elle pas celle qui nous gouverne ?

Cet opéra sacré possède plusieurs niveaux de lecture. Vincent Dumestre dans le programme remis lors de la représentation parisienne du 7 décembre 2006 l'expliquait très bien "L'œuvre éclaire un jour intéressant sur l'Italie du XVIIe siècle à travers la Contre-Réforme, la nécessité pour l'Eglise de remplir les lieux de culte. La Vita Humana est une oeuvre charnière, entre opéra et oeuvre sacrée. Ce double sens lui donne une force particulière avec ces personnages qui sont des archétypes d'opéra vénitien mais aussi des figures fortes s'adressant à tous".

 

La musique de cet opéra est vraiment magnifique et surprenante. C'est une fois de plus Vincent Dumestre qui en parle le mieux : "On retrouve dans ces récitatifs une couleur présente chez Monteverdi, une liberté et une force incantatoire mettant le texte très en relief. D'un autre côté, nous avons été stupéfaits par la modernité de l'écriture qui annonce parfois le XVIIIe siècle : Marazzoli était harpiste et écrivait sans doute en pensant de manière contrapuntique plutôt qu'harmonique. Selon notre culture habituelle de cette époque, l'écriture des arias est très étrange : un contrepoint à deux voix donnant des harmonies rares pour 1656".

 

Marco Marazzoli est né vers 1602 (peut-être 1605) et mort le 26 janvier 1662. Il n'était pas seulement prêtre mais  compositeur, harpiste et chanteur. Né à Parme il fût ordonné en 1625. Il s'instalalla à Rome en 1626 et entra aux services du Cardinal Antonio Barberini (1607-1671)

 

Antonio_Barberini.jpg

 

En 1637, Marazzoli entre dans la chapelle papale en tant que ténor. Il suivra Antonio Barberini dans ses voyages à Ferrare et Venise entre 1630 et 1640. Ce n'est que trois ans après le retour de cette famille d'un exil en France en 1656, que Marazzoli quittera le service des Barberini.

 

Cette famille Barberini pour laquelle il a si longuement travaillé était d'origine florentine et  fut politiquement très proche de Mazarin. C'est d'ailleurs auprès de lui qu'ils trouveront refuge lorsqu'à la suite d'une querelle avec l'autre grande famille romaine qui régnait sur la Rome papale, les Pamphili, ils durent quitter la ville Eternelle.  Antonio fut  fait cardinal en 1627, légat du pape en Avignon en 1633, camerlingue en 1638, enfin commandeur en chef des troupes pontificales. Nommé Grand Aumônier de France, il sera Pair de France.

La création de l'Opéra à Rome doit beaucoup à la famille Barberini. C'est dans leur palais Romain construit dans la première moitié du XVIIe siècle que fut créé à Rome le premier opéra, le 21 février 1632. Il s'agissait du Sant' Alessio de Landi. Ces grands amateurs d'art, furent les protecteurs de nombreux musiciens Girolamo Kapsberger, Luigi Rossi, les frères Mazzochi et Marazzoli.

 

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Copyright @ DR

 

Quod non fecerunt Barbari, fecerunt Barberini « ce que n'ont pas fait les barbares, les Barberini l'ont fait. 

Durant sa carrière Marazzoli composa non seulement des ouvrages sacrés, cantates et oratorios, mais également des opéras profanes dont une Armida en 1642 et le prologue d'un ballet. Vincent Dumestre a enregistré une de ses œuvres profanes qui montre une autre facette de Marazolli : la Fiera di Farfa dans l'album "Combattimenti". Signalons également que Jérôme Corréas avec les Paladins travaillent actuellement sur un opéra profane, enfin plutôt une fois encore parodie sacrée de ce compositeur, Egisto dans le cadre de la saison musicale de la Fondation Royaumont et du Festival Baroque de Pontoise.  C'est d'ailleurs de cet Egisto qu'est tiré la Fiera di Farfa enregistré par le Poème Harmonique.   

   

Marazzoli devait mourir des suites d'un accident en 1662 à Rome.

 

Voici l'extrait d'une cantate Ogni Nostro piacer par l'ensemble Tragicomedia :  

   
Notre futur Clément IX, Giulio Rospigliosi,  fut d'abord un collaborateur de Mafféo Barberini... Que sait -on de lui ?  Au-delà des liens les plus évidents, pourquoi ce tableau est-il plus important à mes yeux que les soi-disants si mystérieux Bergers d'Arcadie ? Comme cet article devient trop long, je le poursuivrais prochainement ...   La musique en est le lien.... et une voix perdue la réponse.

Par Monique Parmentier   
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A vos amours

2 Mai 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Divers

La magie du baroque nait en partie du voile du temps qui auréole de mystère des œuvres parvenues jusqu’à nous de manière incomplète, mais souvent si splendide, permettant au charme d’opérer immédiatement.

 

 

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Je vous propose d’en découvrir ici l’une de ses merveilles qui bien que dormant au cœur d’une bibliothèque, n’en est pas moins bien vivante pour les âmes que touche la poésie du XVIIe siècle.

 

 

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Il s’agit du livret d’un ballet qui plus on le découvre, plus suscite d’interrogations. La toute première porte sur la magnifique reliure dont nul ne sait de qui sont les armoiries.

Ce livret a appartenu aux collections royales (Louis XIV aimait les très beaux livres). Mais avant de vous en raconter l’histoire, je souhaite vous en offrir, les étranges graffitis, dont le plus doux et tendre, est cette si courte phrase « voilà vos (nos) amours ».

 

Nul ne sait qui les a dessinés et encore moins qui a écrit cette dédicace, ni à qui elle était destinée.

 

 

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Susanna Huygens

28 Avril 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Dossiers Musique

Susanna Huygens est née en 1637 et  morte en 1725, elle était la cinquième et dernière enfant de Constantin Huygens et de Suzanna van Baerle et leur seule fille.

Son portrait fut peint par Caspar Netscher. entre 1667 et 1669.

Sur ce portrait, elle y  porte une robe de satin blanc. Le corps de la jupe recouvre un corps baleiné rigide qui tombe plus bas que la taille. Le décolleté est en ovale. La dentelle de la chemise dépasse au niveau de ce décolleté.

Elle se propose de vous faire découvrir cet univers de tous les possibles que lui offrit son père Constantin. Un monde où musique, arts, sciences et diplomatie se mêlaient pour mieux entretenir des relations humanistes.

Ce monde étrange et poétique où les fées cotoyaient les démons, où l'astronomie révolutionnait l'idée que les hommes se faisaient de leur environnement, où les navigateurs pouvaient encore découvrir des terres vierges et s'émerveiller de civilisations inconnues et où les dragons existaient encore, où la sensualité de la musique devait aussi bien faire danser que pleurer, aimer que prier.

susanna huyghens

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Virgo Prudentissima : sensuel et luxuriant

27 Avril 2011 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

Virgo Prudentissima - Marcin Mielczewski
Les Traversées Baroques - Etienne Meyer
Visuel_traversees_baroques.jpgUn répertoire peu ou pas connu, un livret au visuel somptueux, un texte d’accompagnement soigné, une prise de son souple et dynamique pas de doute, K617 nous offre encore une fois une de ces pépites exceptionnelles et précieuses qui sont la caractéristique de ce label indépendant et audacieux.
C’est ici un jeune ensemble implanté en Bourgogne qui se trouve ainsi valorisé. Créé par Etienne Meyer, chef de chœur et Judith Pacquier, cornettiste, l’ensemble Les Traversées Baroques, s’intéresse tout particulièrement au répertoire baroque des anciens pays de l’Est.
Pour leur premier enregistrement, ils nous proposent de découvrir le répertoire sacré qui résonna à la cour de Pologne et dans les chapelles princières de ce pays, durant son âge d’or, au début du XVIIe siècle.
Pour réaliser ce projet, ils ont suivi un fil d’Ariane, celui de l’influence de la musique italienne, qui durant cette première partie du XVIIe siècle a rayonné dans toute l’Europe. Certains compositeurs en provenance de la Péninsule, tel Tarquinio Merula séjournèrent dans ce pays, d’autres comme Giovanni Gabrieli y furent probablement joués. Les pièces musicales de ces compositeurs que Les Traversées Baroques ont retenus ici se mêlent avec harmonie à des motets à plusieurs chœurs de Marcin Mielczewski (16 ??-1651) et Bartlomiej Pekiel (16 ??-1670), deux des grands compositeurs polonais de cette période si foisonnante. Il reconstitue ainsi une liturgie à la Vierge extatique. Ils nous font percevoir toute la luxuriance des couleurs et la sensualité à fleur de peau qui irriguent ces partitions et ces textes latins enivrants et voluptueux. Tout en s’inspirant des maîtres italiens, leur musique prend son envol et s’en libère pour nous ouvrir d’autres chemins.
L’extrême complexité d’une polychoralité particulièrement riche est ici rendue avec soin et enthousiasme par de jeunes interprètes auxquels on peut prédire un bel avenir tant leur musicalité est soignée. La direction souple et précise d’Etienne Meyer, sculpte la matière sonore. Il cisèle les équilibres entre musiciens et chanteurs, comme dans le Credidi de Merula ou le Virgo prudentissima de Mielczewski. Le continuo riche n’est jamais excessif et permet des contrastes saisissants et des dialogues avec les chanteurs pleins de nuances comme dans le sublime Dulcis amor Jesu. L’ensemble choral est homogène et l’engagement des madrigalistes rend parfaitement la théâtralité de ces œuvres. Quant aux solistes, ils sont tous parfaitement choisis. Les deux sopranos Cécile Van Wetter et Clara Coutouly ont un timbre cristallin séraphique, tandis que celui des deux ténors, Hugues Primard et Vincent Bouchot est d’une lumineuse séduction et celui de l’Alto Paulin Bündgen est stable et suave. Son phrasé, ainsi que celui de la basse Renaud Delaigue, soigne tout particulièrement les articulations. Tandis que ce dernier nous offre tout au long de cet enregistrement des nuances très subtiles et fait preuve de beaucoup de sensibilité dans son interprétation.
Tout ici semble aller de soi, jamais la moindre césure n’est perceptible avec pourtant des œuvres d’origines diverses. Un CD que nous recommandons vivement tant il nous démontre grâce à l’engagement de ses interprètes que le répertoire sacré de l’époque baroque a encore des beautés à nous révéler.

Monique Parmentier
1 CD K617
 
 
Pour vous le procurer : http://www.cd-baroque.com/
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Benjamin Lazar, comédien et metteur en scène - interview réalisée en avril 2008 pour Resmusica

8 Avril 2008 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Interview

@ DR

Le succès en 2004 du Bourgeois Gentilhomme a permis au public de découvrir un jeune comédien et metteur en scène, Benjamin Lazar. Son art nous révèle toute la richesse visuelle et sonore de la langue et de la gestuelle baroque. Digne descendant de Molière et de Vigarani, Benjamin Lazar aime par-dessus tout le travail de troupe, et conçoit le théâtre comme un lieu ludique de rencontre et de partage avec le public.

Cet hiver, il nous a offert avec Vincent Dumestre dans Cadmus et Hermione et avec William Christie dans Sant’Alessio, deux songes merveilleux. Nous le retrouvons en avril avec une nouvelle invitation aux voyages : L’Autre monde où les Estats et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac. Rencontre avec un comédien d’aujourd’hui.

ResMusica  : A l’âge des jeux vidéo, vous vous êtes plongé dans la déclamation et la gestuelle baroque, est-ce fruit de votre rencontre avec Eugène Green ?
 : Faire du théâtre, et du théâtre baroque en particulier, ne m’empêchait pas de jouer à des jeux vidéo de temps en temps ; ce n’était pas incompatible !
A 12 ans, j’ai rencontré Eugène Green. Il a animé un atelier de théâtre baroque dans mon collège jusqu’en 1995 date à laquelle il s’est consacré presque exclusivement au cinéma. Je l’ai eu comme professeur de théâtre, associé à un professeur de français, Isabelle Grellet.
Ce qui m’a attiré dans ce répertoire et cette façon de le jouer, c’était, outre l’échange avec mes camarades, le fait qu’avec la gestuelle, le texte prenait corps dans l’espace. Contrairement à ce qui pouvait se faire en classe où l’on peut rester facilement dans un rapport analytique un peu distant, le texte devenait un être vivant, une matière sonore qu’on pouvait modeler. Tout cela était très concret et fascinant.
Le répertoire baroque n’était pas le seul abordé : nous avons aussi travaillé sur les auteurs de l’Oulipo, dont Georges Perec.

RM : Donc du contemporain ?
BL : Oui, à l’Oulipo on retrouve un rapport ludique au langage, un art de faire de la contrainte une liberté créatrice. C’est finalement, assez commun avec les principes du théâtre baroque qui est assez strict dans ses conventions mais où ces contraintes se révèlent un formidable terrain d’invention pour l’acteur.

@ DR

RM : La « Parole baroque » à 11 ans ne vous a donc pas fait peur ?
BL : Non seulement cela ne m’a pas fait peur, mais cela ne fait peur à aucun enfant qui vient voir un spectacle baroque ! Les enfants aiment bien qu’on les sorte de leurs habitudes, qu’on leur permette de s’approprier un autre langage que le langage parental qui est une norme pour eux. Ils s’en saisissent donc très vite. En sortant des spectacles on entend des enfants (et pas seulement d’ailleurs) qui s’amusent à parler avec l’» accent » baroque.

RM : Le public aujourd’hui adhère à cette proposition, quels en sont les principes essentiels, reconstitution, adaptation ou proposition ?
BL : Il faut du temps pour que des idées qui révolutionnent la façon de voir et d’entendre un répertoire soient comprises, ressenties par les spectateurs. La musique baroque n’a commencé à percer qu’après un certain temps de recherche, qui remonte bien avant le succès des années 80. Pour le théâtre, les recherches et les premiers spectacles ont émergé dans les années 80 et trouve un public de plus en plus large à l’heure actuelle.
Pour rendre ce travail sur les techniques anciennes de l’acteur accessible, je ne pense pas qu’il faille l’adapter à un goût du jour, en atténuant tel son paraissant étrange aujourd’hui, ou tel geste trop ésotérique. Même si une règle de prononciation me paraît un peu stricte, je ne cherche pas à l’adoucir pour la rendre plus contemporaine, ce serait strictement contraire à la démarche, je fais une proposition franche, claire afin que le spectateur puisse en comprendre les codes et se les approprier lors d’une représentation.
Parler de reconstitution pour désigner ce travail me semble inexact. On reconstitue un vase brisé dont a gardé les pièces éparses. Mais dans le cadre qui nous intéresse, il n’y a pas que reconstitution, il y a aussi création. Le principe de ce travail est simple : il consiste à dire que le texte ou la partition ne sont que la trace d’une pratique et qu’il est donc intéressant de s’intéresser au contexte de création, à commencer par les techniques de l’acteur utilisés à l’époque. Mais à partir de la lecture des traités de l’art de l’acteur, de l’art des machineries ou de l’éclairage, mille spectacles sont possibles pour une même œuvre. Même informée par une recherche dramaturgique poussée, la part laissée à l’invention dans la salle de répétition et sur scène reste grande. De même pour le travail des scénogaphes et de costumiers.

RM : Le théâtre No ne possède-t’il pas ce type de démarche ?
BL : En Orient, la transmission du répertoire est double : il y a les textes, mais aussi les techniques pour les interpréter, transmises par écoles ou par famille. On transmet les gestes, les modulations de la voix, les masques.
Les codes gestuels orientaux ne sont cependant pas les mêmes qu’en Occident. Nous ne nous servons pas directement des gestes du théâtre oriental dans l’interprétation du répertoire baroque : c’est plus un point de comparaison, un autre exemple d’une utilisation non psychologique, mais rhétorique, du corps.

@ DR

RM : L’autre rencontre qui marque votre parcours c’est celle avec Vincent Dumestre, pouvez-vous nous en parler ?
BL : Elle s’est faite sur le programme « Musique et Poésie » en l’an 2000. Bougies, déclamation et chant : Nous sommes partis de cette base toute simple en apparence, à laquelle nous revenons tout le temps, même dans les grands projets où viennent s’ajouter de nombreux costumes et décors
Notre entente est liée à ce goût commun pour la parole musicale et la musique éloquente, et aussi pour l’esprit de troupe – celle de Molière ou de Lully nous fait rêver- où se crée souvent une belle émulation, une entente entre les artistes (danseurs, chanteurs, comédiens) que ressent le public et qui fait, je pense, partie de son plaisir.
Le Bourgeois Gentilhomme, monté à Royaumont, a été l’occasion de montrer à un large public, par le spectacle et le DVD, cette complémentarité des arts, cette porosité des frontières entre la musique, le théâtre et la danse.

RM : Texte et musique deux éléments clefs, porteurs d’un sens « sacré ?
BL : Le caractère sacré du théâtre se remet en cause, se réinvente à chaque représentation. Au théâtre on « prête », on ne donne pas foi. C’est une construction qui s’élabore entre les acteurs et les spectateurs.
Je ne prétends pas détenir la vérité sur la langue du XVIIe siècle, je n’affirme pas qu’elle était telle que nous la faisons entendre. Dans toute recherche, il y a des sources qui se recoupent, parfois se contredisent, mais pour arriver à une proposition théâtrale il faut bien choisir parmi des hypothèses différentes. Notre travail n’est pas figé. Mais par contre je suis persuadé de l’intérêt de ce travail et des possibilités expressives qu’il offre aux interprètes baroques, acteurs ou chanteurs. Car il s’agit bien de cela : rendre l’expressivité de ces œuvres, toucher le public. Pour moi, ce travail n’a rien d’élitiste, ou alors c’est un élitisme pour tous.

© Alvaro Yañez

RM : Parlons des productions de cet hiver, Sant’Alessio. Comment s’est faite la rencontre avec William Christie ?
BL : Peu de temps après le Bourgeois, il a demandé à me rencontrer. Nous avons déjeuné ensemble et quelque temps après il m’a demandé d’examiner trois partitions, parmi lesquelles le Sant’Alessio.

RM : Qu’est ce qui vous a plu dans Sant’Alessio ?
BL : L’étrangeté de l’histoire, du personnage principal, sorte d’anti-héros, dont le mystère ne pouvait s’explorer que dans la réalisation du spectacle. Le culte de Saint Alexis a été supprimé par l’Eglise tant le personnage semble bizarre aujourd’hui. Certaines réactions très fortes dans le public soulignent bien cette étrangeté : plusieurs personnes m’ont dit qu’elles détestaient ce personnage, son égoïsme. Ce personnage prend pourtant à la lettre certaines paroles de l’évangile de Saint-Matthieu : « je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère. Et l’homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. ». Cependant, cette antipathie n’était pas le sentiment général, tant la présence et la voix de Philippe Jarrouski ont de séduction !
Il y avait également le plaisir que procure la musique de Landi qui pourrait paraitre archaïque et rébarbative à certains à cause de la présence de nombreux récitatifs. Mais cette musique me touche et le récitatif est écrit avec une subtilité incroyable, dans une écoute du texte dans ses plus fines subtilités. On se trouve face à un dépouillement et une force d’expression immense.

RM : Le personnage oblige à continuer à chercher après la représentation ? 
BL : J’essaye de donner l’histoire avec assez de simplicité pour que celle-ci continue à travailler dans l’imaginaire du spectateur, qu’il puisse y repenser et lui donner des sens multiples. J’essayer que les spectacles deviennent aussi des lieux que l’on peut visiter dans sa mémoire. C’est en tout cas ainsi que je fais quand je suis spectateur.

RM : Comment s’est fait le travail avec William Christie ?
BL : Nous nous sommes retrouvés au Théâtre de Caen sur un temps plus long que d’habitude dans ce genre de production, les chanteurs étaient très présents et nous avions également un répétiteur très compétent, Benoît Hartoin, qui a un très bon sens de la déclamation et de l’expressivité. J’ai donc trouvé cette atmosphère d’écoute commune dont j’avais pris l’habitude et le goût à Royaumont. Il y avait 8 contre-ténors qui tous s’observaient, conscients de participer à quelque chose d’exceptionnel qu’ils ne connaîtraient peut être plus jamais, car je crois que l’on n’avait jamais essayé de réunir une distribution entièrement masculine sur ce genre de répertoire, comme chez les Barberini à la création, où de nombreux rôles étaient tenus par des castrats.

@ DR

RM : Travailler dans le même temps le Sant’Alessio et Cadmus et Hermione a –t-il posé des problèmes ?
BL : Ce sont deux œuvres très différentes, issues de deux pouvoirs forts, le pouvoir royal et l’Eglise de la Contre-Réforme. En 40 ans, et malgré des pratiques théâtrales communes, comme la gestuelle et la rhétorique, les auteurs ont créé des univers très distincts et qui nous ont amené dans des directions différentes, sans parler des deux chefs Vincent Dumestre et William Christie, qui influent bien sûr beaucoup sur l’atmosphère du spectacle. À noter aussi que les chorégraphes étaient différentes et ont chacune amené leur patte : Françoise Deniau pour Sant’Alessio et Gudrun Skamletz pour Cadmus. Sinon j’ai travaillé avec la même équipe : Adeline Caron, scénographe, Alain Blanchot, costumier, Christophe Naillet éclairagiste, Mathilde Benmoussa, maquilleuse, Louise Moaty, collaboratrice artistique, et ce qui était passionnant c’était de participer ensemble à la création de ces deux univers.

RM : Pouvez-vous nous parler de Pierrot Cadmus ?
BL : Pierrot Cadmus est la parodie de Cadmus et Hermione. Nous avions vraiment envie que le travail qui avait été fait sur le Bourgeois, et en particulier la constitution d’une troupe, ne soit pas perdue parce que Lully avait laissé de côté, à l’époque, les comédiens à la porte du spectacle royal ! D’où l’idée de rendre justice aux comédiens en leur faisant interpréter une parodie de la tragédie lyrique officielle, comme cela se faisait à l’époque dans les théâtres de foire. Notre troupe du Bourgeois – moins quelques uns engagés ailleurs – s’est donc retrouvée autour de Nicolas Vial qui a mis en scène le spectacle.
Le travail dramaturgique a été fait par Judith Leblanc qui a cherché tous les airs de Pierrot Cadmus de Carolet, car un livret de parodie se présentait toujours de la même manière : le texte et au-dessus du texte une indication renvoyant au « timbre » c’est-à-dire à un air connu, Les chansons étaient alors tellement connues qu’il n’y avait que rarement lieu de rajouter la partition. Philippe Grisvard, le claveciniste, a fait recoller le texte parodique sur les airs anciens. Il a ensuite composé les ritournelles et toute la musique qui sert aux transitions et aux parties pantomimes, en réintégrant les morceaux de l’époque de la création de Pierrot Cadmus, dans les années 1730.

RM : Et la chorégraphie ?
BJ : C’est un mélange entre les propositions des comédiens dont d’Anne-Guersande Ledoux et du regard de Gudrun Skamletz, la chorégraphe du Cadmus.
On aimerait bien que Pierrot Cadmus tourne avec le Cadmus mais il peut également tourner dans certaines circonstances de manière indépendante car la parodie a plusieurs degrés de lecture même si l’idéal est de les voir à la suite. Nous avons eu de bons retours de la part du public scolaire, notamment grâce au beau travail de préparation mené par Agnès Terrier à l’Opéra Comique. On aimerait aussi pouvoir le filmer pour l’intégrer au DvD ou en faire un second à joindre à celui du Cadmus.

RM  : Vous prêtez un joli brin de voix à votre Hermione sur Pierrot Cadmus?
BJ : Il y avait un jeu entre Nicolas Vial et moi. Il m’abordait en coulisses et me disait « Claire Lefilliâtre ? » et je lui répondais « oui, c’est moi », comme si mon travail vocal et celui de maquillage de Mathilde avait pu amener une confusion ! J’ai été très heureux de chanter en voix de fausset. Même s’il s’agissait d’un registre comique, cela m’a permis de la développer. C’est une voix qui m’a toujours fasciné. Enfant j’écoutais tout le temps le Stabat Mater de Vivaldi et j’imitais James Bowman, dont la version était sortie peu de temps avant.

RM : Est – ce sur le Sant’Alessio que vous avez travaillé cette voix ?
BJ : Non, mais cela dit j’ai pas mal regardé et j’ai appris pas mal de choses, tout comme j’en apprends chaque fois que j’observe des chanteurs que j’admire, telle Claire Lefilliâtre. En plus du travail de réécriture des partitions, Philippe Grisvard, nous a fait travailler le chant avec patience et exigence.
Jean-François Lombard (la nourrice de Cadmus et Hermione) nous a aussi donné d’excellents conseils. C’est quelqu’un qui est vraiment dans le plaisir du chant et alors que nous n’étions pas des chanteurs professionnels mais des comédiens utilisant le chant, il nous a beaucoup apporté sans aucun jugement.

RM : Intervenez-vous en tant que metteur en scène au niveau du chant ?
BL : Oui, mais pas sur la technique vocale. Parfois, le travail sur la gestuelle ou sur l’interprétation peut faire dépasser une difficulté technique à un chanteur. Parce que la concentration sur autre chose, le déplacement de la concentration, peut l’aider à dépasser une difficulté technique et trouver des ressources ailleurs. L’attention à un mot, à un geste, peut libérer son énergie.

RM : Entre Claire Lefilliâtre et vous, entre chant et déclamation, dans le programme Musique et Poésie, on peut constater le résultat de cette émulation, le public s’abandonne à l’émotion.
BL : Merci ! En tout cas, avec Claire et Vincent, nous avons effectivement l’impression que le concert est encore un lieu d’expérience et d’échange, où il se passe vraiment quelque chose, où l’on essaie de créer une autre réalité.

RM : Parlez-nous de L’Autre Monde ou les Estats et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac et de votre Compagnie.
BL : C’est un spectacle que je monte avec ma troupe le Théâtre de l’Incrédule et l’ensemble la Rêveuse. Le théâtre de l’Incrédule a pour but d’accueillir tous mes projets qui ne sont pas des commandes d’opéras et qui nécessitent une production propre. Je travaille sur plusieurs axes de travail dont la recherche sur le théâtre baroque et plus généralement sur le travail d’adaptation de grands textes de la littérature pour la scène. J’étudie la relation entre musique et théâtre et cherche des ponts avec le théâtre contemporain. Le champ d’investigation est assez large. On retrouve dans cette troupe les acteurs du Bourgeois mais pas seulement.
Cette année, nous avons trois projets au Théâtre de l’Incrédule : L’Autre monde une reprise, mais une première parisienne, au théâtre de l’Athénée, à partir du 10 avril. Pour la saison prochaine, je monterai un opéra composé entièrement de chanson LaLaLa avec le chœur Les Cris de Paris (Geoffroy Jourdain). Les compositeurs-arrangeurs (David Colosio, Morgan Jourdain, Vincent Manac’h et Geoffroy Jourdain lui-même) sont très doués et les premières répétitions musicales m’ont ravi ! C’est aussi assez émouvant de travailler avec un groupe de compositeurs autour d’une œuvre commune : cela me rappelle l’énergie du groupe des six travaillant aux Mariés de la Tour Eiffel !
Puis je m’associe à Louise Moaty pour mettre en scène la première des nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar Comment Wang-Fô fut sauvé avec Habanera, un quatuor de saxophone, sur une création musicale d’Alain Berlaud. Et dans une scénographie de Bernard Michel. La musique est ainsi présente dans les trois spectacles mais sous des aspects très différents
Cyrano m’accompagne depuis déjà un certain temps. C’était un écrivain qui accordait une grande importance à la musique. Sur la Lune, les nobles lunaires parlent en musique : c’est donc un lieu de dialogue idéal entre Florence Bolton, Benjamin Perrot et moi.
Cyrano est un écrivain très attachant. Il y a chez lui un foisonnement de l’imagination relié à un goût pour les sciences. Il revendique aussi une liberté de penser le monde, et non de se faire imposer une vision pré-établie des choses. Tout cela s’exprime dans un grand plaisir de l’écriture et un goût pour la conversation et l’amitié.
A chaque fois que je dis ce texte, j’ai l’impression d’en découvrir de nouveaux aspects grâce à la présence du public. Ainsi c’est devant un public d’adolescents à Rouen que je me suis rendu compte de la force d’un passage où Cyrano fait parler un être qui n’existe pas encore (il aime les paradoxes !). Ce non-être qui demande à la Parque de ne pas naître tout de suite a créé chez eux, si proches encore du moment de leur naissance, une très grande écoute, un peu stupéfaite, alors que jusque là ce passage faisait rire. J’ai gardé cette couleur-là et depuis le passage est plus suspendu qu’avant.

RM : Vous proposez une autre réalité, un autre monde au spectateur ?
BL : Oui, il y a l’idée de transporter, de créer avec les spectateurs quelque chose de différent de ce qui se passe dans la vie. Aux acteurs, je dis que le spectateur doit avoir l’impression que l’air n’est pas le même sur scène que dans la salle. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit uniquement de divertir, de couper de toute réflexion le spectateur. Il y a un discours aujourd’hui qui consiste à vouloir confronter le public à la réalité, l’idée que le plaisir est lié à un aspect bourgeois du théâtre, comme lieu de représentation sociale – un Brechtisme en peu simplifié en somme. Pour moi, le merveilleux, le rêve, ne sont pas obligatoirement le lieu d’un confort anesthésiant ! Je pense que ce n’est pas incompatible avec un regard critique sur la forme employé et la mise en perspective politique, sociale, ou toute autre lecture.

Par Monique Parmentier Pour Resmusica

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